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Résumé
Le poème de Mallarmé « Salut » a un double, un jumeau où la navigation devient le thème au lieu d’être le comparant ; il s’agit d’un poème d’hommage à Vasco de Gama, daté de 1898, année de la mort de Mallarmé. Le poème est fondé sur un parallèle entre le cap de Bonne-Espérance et celui du temps. Apparaît ici un terme technique, le « gisement » : on nomme gisement l’angle horizontal formé par l’axe longitudinal d’un navire et le vecteur passant par le but observé ou repéré. Dans le poème, l’oiseau annonce le triomphe de la renommée, le cap de Bonne-Espérance étant une métaphore de la postérité, mais de cette annonce le navigateur se moque. Vasco de Gama continue de naviguer, et l’oiseau avance avec lui ; le vers « Nuit, désespoir et pierreries » rappelle le vers du poème « Salut » : « Solitude, récif, étoile ». Avec ce mot de « pierreries », on ne peut s’empêcher de penser à Valéry aussi et à La Jeune Parque (1917) (« Qui pleure là, sinon le vent simple, à cette heure / Seule avec diamants extrêmes ?... Mais qui pleure / Si proche de moi-même au moment de pleurer ? ») et de lire ce dernier poème comme un hommage du disciple à son maître.
Chez Keats, la « planète nouvelle » trouve ainsi des résonances mallarméennes selon un plagiat par anticipation. Ces poèmes mentionnent l’étoile nouvelle d’une manière résolument moderne, sans la rapporter à la grande bibliothèque antique des étoiles nouvelles explorée au début du cours (Virgile, Lucain) ; c’est une branche indépendante des bibliothèques des étoiles nouvelles que l’on trouve ici, une branche inaugurée par la découverte de l’Amérique : l’étagère américaine de la bibliothèque des étoiles nouvelles.
Il existe toutefois un point de contact entre le fil antique et le fil américain : un nom inattendu ici est celui d’Étienne de la Boétie, l’ami de Montaigne, le premier, semble-t-il, à avoir utilisé le lieu commun antique de l’« étoile autre », de l’« étoile nouvelle », précisément pour désigner l’Amérique. Il s’agit du premier des poèmes latins de La Boétie dans l’édition qu’en donna Montaigne en 1571. Ce poème est d’une tonalité sombre : il y est question des guerres civiles qui ravagèrent le pays entre mars 1562, date du massacre de Wassy, et mars 1563, date de l’édit de pacification d’Amboise. Ce qui est frappant ici, c’est la similitude entre ce poème et « Les Conquérants » d’Heredia. Pour la Boétie, la France dévastée par les guerres de religion est devenue un « charnier natal ». Le poète a donc la tentation de l’exil. La Boétie représente ainsi le chaînon manquant qui réunit l’imagerie antique à la réalité américaine et permet de passer de l’imagerie antique au poème d’Heredia. Il y a encore un autre chaînon dans l’histoire moderne de l’image des étoiles nouvelles. Il s’agit d’un poème en français de Jean-Jacques Ampère, « Le Nil », publié en 1868, un an avant celui d’Heredia, « Les Conquérants ». Les liens entre ces textes sont étroits. On voit apparaître toute la tragédie de la conquête, la rapacité des conquérants qui font comme si ces étoiles n’appartenaient à personne. Telle est la mobilité des images. C’est une histoire qui se déroule depuis la poésie latine, qui se prolonge dans une branche à part depuis la découverte de l’Amérique, en prenant des sens nouveaux.