Ce qu’on appelle la théorie de la référence a évolué tout au long du vingtième siècle et a constitué la colonne vertébrale de la philosophie analytique, depuis les apports fondateurs de Frege et Russell au tournant du siècle jusqu’à la « nouvelle théorie de la référence » promue dans les années soixante-dix. Mais la théorie de la référence, si elle est au cœur de la philosophie analytique, n’intéresse pas qu’elle. Dans la tradition qu’on peut appeler primo-phénoménologique, celle de Brentano et de ses élèves, la théorie de la référence est également au cœur des réflexions sur le thème central de cette tradition philosophique : la relation entre la pensée et ses objets. Après avoir donné quelques indications sur les relations entre ces deux traditions, on pointe une différence entre elles concernant la notion de référence.
Dans la tradition analytique, la référence est l’objet réel auquel renvoie une représentation, alors que dans la tradition brentanienne la référence est l’objet intentionnel qui est projeté par la représentation elle-même mais n’existe pas nécessairement en dehors d’elle. La notion d’objet intentionnel est, en un sens, la plus fondamentale, car c’est celle que la théorie de la référence vise ultimement à élucider. L’intérêt de l’autre conception de la référence, la conception qu’on peut appeler « réaliste », c’est qu’elle fait de la relation référentielle une véritable relation entre deux entités qui existent toutes deux dans la réalité, à savoir la représentation d’un côté et l’objet réel de l’autre. Une stratégie raisonnable – celle qui est adoptée dans ce cours – consiste à partir de cette notion non mystérieuse et d’essayer d’approcher ou de reconstruire l’autre notion, celle qu’il s’agit d’expliquer, à partir d’elle. Il ne s’agit donc plus simplement d’opposer, comme semble le faire Brentano, deux domaines, le monde naturel où il y a les vraies relations, causales et spatio-temporelles, celles qui impliquent l’existence des relata, et le monde mental avec ses quasi-relations entre des représentations mentales et des objets qui éventuellement n’existent que dans la représentation. Au lieu d’opposer ces deux domaines et de s’en tenir là, on considère le monde naturel, avec ses vraies relations, comme plus fondamental que l’autre dans l’ordre de l’explication, et on tente d’analyser la quasi-relation constitutive de l’intentionalité du mental à partir de véritables relations entre des entités réelles.
Un exemple d’une telle stratégie « naturaliste », brièvement présenté à la fin du cours, est fourni par livre du philosophe américain Fred Dretske Explaining Behavior. Celui-ci définit la notion de représentation (possiblement fausse ou sans objet réel, bien que toujours dotée d’un objet intentionnel) à partir de la notion plus fondamentale d’indication qui, elle, implique l’existence simultanée du signe et de son objet réel (par exemple, la fumée et le feu).