1966 fut une année exceptionnellement brillante pour la science. À l’automne 1965, le prix Nobel de médecine est attribué à Jacques Monod, François Jacob et André Lwoff pour leurs travaux sur le code génétique ; à l’automne 1966, le prix Nobel de physique est attribué à Albert Kastler pour la découverte et le développement de méthodes optiques servant à étudier la résonance hertzienne dans les atomes. Ces travaux ont fasciné un large public, et notamment Mauriac lors de la leçon inaugurale de Monod au Collège de France. Ces scientifiques sont aussi engagés, Monod dans la réforme de l’université, lors du colloque de Caen de l’automne 1966 ; Kastler présent le 30 novembre 1966, lors des « Six heures pour le Vietnam » à la Mutualité.
C’est aussi l’année de la « mort de l’homme », de l’« antihumanisme théorique » d’Althusser. Mauriac, Sartre représentent les humanismes de jadis : c’est toute la génération des soixante à quatre-vingts ans qui est balayée par les jeunes (et moins jeunes, comme Lacan). Althusser et Foucault deviennent les références incontournables, avec Lévi-Strauss et Lacan.
Dans cette histoire, il ne faudrait pas manquer un acteur majeur qui n’a pas été encore évoqué : l’Union des étudiants communistes (UEC), allant de soubresaut en soubresaut, de crise en crise, jusqu’à sa reprise en main définitive par le PCF, au printemps 1966.
Lacan tient alors son séminaire rue d’Ulm. Entre lui et Althusser, gravite un noyau d’élèves partagés et échangés, qui sont proches de l’UEC. La crise de l’UEC est liée aux bouleversements du monde étudiant et de sa politisation à la suite de la guerre d’Algérie. Le PCF a fini par ne plus maîtriser l’UEC, qui regardait vers le PC italien et vers l’Europe. L’UEC est tentée par une rénovation du PCF. C’est le moment d’une lutte violente dans les coulisses entre Garaudy et Althusser, qui vient de rassembler ses réflexions sur Marx dans Pour Marx puis Lire le Capital. C’est dans ce contexte très chargé, où le PCF doit trancher la question de l’humanisme, que s’ouvre le comité central de mars 1966. Le conflit entre Garaudy et Althusser est au premier plan, mais la violence des débats restera absente des textes de compromis.
C’est à Argenteuil que la cellule de la rue d’Ulm a vu un motif de rupture. Après avoir perdu les Italiens en 1965, les trotskystes en 1966, l’UEC perd les ultra-orthodoxes. L’UEC a été donc épurée au prix de beaucoup de pertes, et le PCF a perdu pour longtemps ses cadres et ses jeunes.
La publication des Écrits de Lacan survient dans ce contexte. Curieusement l’accueil le plus favorable est venu des Lettres françaises et du Figaro. Même si Lacan n’était pas intéressé par le marxisme, ses étudiants l’étaient davantage. Après Les Mots et les choses, lu sur les plages durant l’été 1966, d’après Le Jardin des modes de juin 1967, les Écrits seront la lecture favorite des mondaines sur la Côte d’Azur.
Extrait de « Le masque et la plume », 5/02/1967 : « Sartre en question », François-Régis Bastide et Michel Polac, avec François Châtelet, Jean-Pierre Faye et François Wahl. Archives de l'InA.