Présentation
Les sources écrites qui permettent d’étudier la vision et les conceptions du monde des habitants des campagnes en Occident durant le haut Moyen Âge présentent un double biais documentaire, social et culturel : elles émanent en ordre principal d’un groupe restreint et privilégié de la population, les clercs instruits. L’ouvrage composé dans les années 810 par l’archevêque de Lyon, Agobard, sur la grêle et le tonnerre, sert de point de départ à une enquête de micro-histoire, qui prend appui sur le caractère composite du traité, à la fois traité théologique destiné au public des pairs d’Agobard et à la formation idéologique du clergé éduqué, et manuel de pastorale, composé pour aider les prêtres confrontés aux fidèles dans leur œuvre de conviction et de prédication. L’archevêque met en œuvre deux modes de rationalité. Il démontre à partir d’un raisonnement théologique l’omniprésence et la toute-puissance de Dieu dans la dynamique de la Nature ; il réfute par l’enquête et la logique les croyances répandues dans les populations du Lyonnais sur la causalité des intempéries. Celles-ci reposent sur l’action d’humains capables de manipuler le temps négativement, en provoquant orages et averses de grêle et, positivement, en défendant des collectivités d’habitants contre ces intempéries malignes.
Le traité permet d’étudier les interprétations et les représentations du monde physique au sein des élites ecclésiastiques et des populations rurales. Sans fournir de production idéelle émanant directement des paysans, ce point de vue offre un point de départ dans une enquête systématique portant sur l’inclusion chrétienne des petits mondes ruraux et sur les traditions culturelles que produit cet encastrement culturel. Dans cette confrontation, l’historien peut également espérer mettre à jour les composantes non-chrétiennes de la « petite tradition », qui sert de base à une rationalité spécifique au(x) monde(s) paysan(s). Le concept « d’arrière-monde paysan » nous sert à désigner, sans a priori historiographique ou idéologique, le champ culturel dans lequel s’exercent ces tensions entre idées chrétiennes et non chrétiennes de la Nature.