En introduction d’un programme portant sur une période longue – le fameux « long XIXe siècle » – et sur un sujet pour le moins complexe, il paraît utile de consacrer le premier cours à des questions de fond qui concernent la discipline de l’histoire en général et, plus particulièrement, le domaine de l’histoire turque et ottomane. Revenant d’abord sur quelques-uns des problèmes posés lors de ma leçon inaugurale, j’ai commencé par rappeler à quel point le domaine était vicié par l’emprise du politique et de l’idéologique, notamment dans une Turquie que je qualifiais de « cliomane » et de « cliopathe ».
Toutefois, c’est plutôt sur des problèmes inhérents à la discipline et relevant de questions de méthode et de contexte que je me suis penché, à commencer par la terminologie – particulièrement le risque d’amalgame, toutes périodes confondues, entre « turc » et « ottoman » – et par le monopole de fait que s’est arrogé la Turquie sur l’histoire ottomane, encouragée en cela par le rejet systématique par les autres États successeurs – balkaniques et arabes – de l’héritage ottoman, jugé incompatible avec leur propre récit « national ». En rejetant un certain passé ottoman, ces traditions historiques créent de fait un « trou noir » historiographique, une parenthèse anhistorique qui réduit encore plus notre connaissance encore si incomplète de cet Empire, sans compter qu’il s’agit là d’un encouragement tacite à l’historiographie nationaliste turque de parfaire son emprise sur le sujet.