L’expédition d’Égypte de Bonaparte (1798) est un tournant décisif dans l’histoire de l’Empire ottoman, mais aussi dans celle de la région tout entière et, surtout, des rapports entre Orient et Occident. Élément fondateur de l’orientalisme savant (Description de l’Égypte), coup d’envoi d’une politique coloniale française et britannique en Méditerranée et au Moyen-Orient, ébauche de la formation d’un État moderne en Égypte, cet événement constitue, pour les Ottomans, un traumatisme dont ils ne se remettront jamais entièrement. Incapable de répondre à ce coup de force par les armes, la Sublime Porte se retrouve à la merci d’alliances internationales pour assurer sa propre survie dans un environnement de plus en plus menaçant. La crise est résolue grâce au soutien britannique, mais, pendant toute la période napoléonienne, les Ottomans se retrouveront ballotés d’une alliance à une autre, navigant avec quelque succès sur les eaux de la diplomatie européenne. La puissance transformatrice de ce choc est énorme : la Porte sait désormais qu’elle ne peut plus se tenir à l’écart de la politique européenne et qu’elle est vraisemblablement vouée à un rôle secondaire et subordonné dans le nouvel ordre mondial.
Exemple flagrant de ces nouveaux enjeux diplomatiques, les Ottomans se voient obligés d’inventer un système de décorations – ordres et médailles – à l’occidentale afin de récompenser Nelson et ses braves. Jusqu’à la fin des années 1820, ces objets ne seront jamais utilisés pour récompenser les sujets de l’Empire. C’est là une caractéristique commune importante des nouveautés introduites : elles sont souvent « bonnes pour l’Occident », comme le Tableau des nouveaux réglemens de Mahmud Raif Efendi (1798), évoqué la semaine précédente, dont on n’a découvert que très récemment une version turque, jamais publiée.