Plaidoyer pour une économie politique et historique, l’exposé de Thomas Piketty avait pour but de répondre à la question suivante : « Le capitalisme du XXIe siècle sera-t-il aussi inégalitaire et instable que celui du XIXe siècle ? » Selon l’intervenant, le capitalisme ne peut être auto-équilibré, car il n’existe pas de force équilibrante ramenant naturellement les sociétés sur des sentiers de croissance équilibrée. Sans une vigoureuse reprise en main par le pouvoir politique, le capitalisme met en péril les valeurs méritocratiques qui sont au fondement de nos démocraties modernes.
La situation économique contemporaine s’apparente ainsi à celle du XIXe siècle. Il faut donc, selon Thomas Piketty, rouvrir les questions, posées par Ricardo et Marx, du lien entre croissance et répartition des richesses, et du rapport entre capital et revenu, même si les réponses qu’ils avaient alors données à ces questions ne sont pas bonnes. Il faut aussi rappeler que la tendance à l’égalisation des conditions, source d’un consensus optimiste durant la guerre froide autour de la courbe de Kuznets, s’est établie pour des raisons accidentelles (les guerres), non sous l’effet d’un mécanisme vertueux du marché. La situation du milieu du XXe siècle a donc été une anomalie. Depuis la montée des inégalités à l’intérieur des pays développés dans les années 1970-80, cet optimisme a dû être abandonné.
Pour que le XXIe siècle invente un mode de dépassement des inégalités plus pacifique que le XXe, il faut préalablement, selon T. Piketty, se défaire de deux illusions : l’illusion du capital humain (la part des revenus du capital est aussi importante aujourd’hui qu’au XIXe siècle) et l’illusion d’une guerre des âges (pour les générations nées à partir des années 1970-1980, l’héritage reprend pratiquement l’importance qu’il avait au XIXe siècle).
Dans la discussion a été évoquée la difficulté méthodologique posée par l’absence de données sur la répartition des revenus dans le passé. Puis, revenant sur l’effet des guerres sur les grandes transformations socio-économiques, la discussion a mis en lumière la nécessité d’une préparation démocratique à ces réformes post-conflit. Enfin, quelques pistes ont été suggérées pour expliquer la légitimation croissante des inégalités dans notre société contemporaine.
Thomas Piketty est directeur d’études à l’EHESS et professeur à l’École d’économie de Paris. Il est notamment l’auteur de Pour une révolution fiscale (Le Seuil, 2011) avec Emmanuel Saez et Camille Landais, et de « On the Long Run Evolution of Inheritance. France, 1820-2050 » (PSE Working Paper, 2010).