Cette présentation a été l’occasion de déplacer le questionnement du séminaire dans le champ de l’art, particulièrement intéressant parce que les inégalités y paraissent légitimes. Si la sociologie s’intéresse traditionnellement aux inégalités de consommation face à la culture, Pierre Menger propose d’étudier les inégalités d’accès aux professions culturelles et les inégalités de réussite qui y sont associées.
Dans son intervention, il a mis en évidence un paradoxe : l’attractivité croissante des emplois artistiques (qui se manifeste notamment par la croissance du nombre d’emplois) malgré la flexibilité très importante que leurs formes juridiques permettent et les très fortes inégalités qui y sont associées, en fonction du métier, du secteur, de la formation, des expériences passées. Ce paradoxe, et l’acceptation d’une pénalité salariale par rapport aux autres salariés à niveau de formation égale, s’expliquent par les particularités du métier (souplesse, liberté, prestige, etc.) et l’espoir d’une reconnaissance ultérieure.
Pierre-Michel Menger a présenté trois modèles explicatifs des inégalités dans les arts : le modèle méritocratique essentialiste (ceux qui réussissent sont les plus doués), la critique normative (c’est la division du travail artistique qui crée les inégalités) et l’analyse dynamique de la formation des inégalités qu’il formule. Ce dernier modèle avance qu’une fois qu’un talent a été détecté (par le biais des compétitions, des prix ou des palmarès), le marché, avec toute sa technologie de concentration de l’attention, entre en jeu pour amplifier les écarts, produisant des inégalités de rémunération et de succès très importantes. Ce modèle a le double avantage de laisser indéterminés les facteurs de classement sans nier qu’il existe des classements, et de prendre en compte les inégalités spécifiques nées du talent.
La discussion a permis d’insister sur le fait que le monde artistique est celui qui peut sembler le plus inégal, mais dans lequel les ressources contre le désenchantement sont les plus importantes. Elle a été également l’occasion de transposer la réflexion au monde des sciences, dans lequel la question de la mesure et de la rétribution du talent est également centrale. Enfin, une distinction a été faite entre les mondes de l’art et de la science et le monde sportif, dans lequel les groupes qui s’affrontent sont relativement homogènes et le talent plus facilement mesurable.
Pierre-Michel Menger est directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’EHESS. Il est notamment l’auteur de Les intermittents du spectacle. Sociologie d’une exception (Editions de l’EHESS, 2005) et Le travail créateur. S’accomplir dans l’incertain (Gallimard, 2009).