Résumé
Pendant les années 1950 et 1960, l’impression de vivre une période de transformations profondes est omniprésente au sein des sociétés européennes. L’un des aspects de cette mutation est la place fondamentale que prend la science, à la fois comme principe explicatif du réel, mais aussi comme support d’un progrès technique qui a un impact tangible sur les conditions de vie des populations.
Les mathématiques jouent un rôle particulier, d’une part parce que ce sont elles qui permettent aux autres sciences de formaliser leurs résultats, d’autre part parce qu’elles interviennent directement dans les processus de rationalisation et d’automatisation qui sont alors à l’œuvre dans le monde économique et au-delà. Dans ce contexte d’une « conjoncture mathématique sans précédent », la formation mathématique de la jeunesse apparaît comme un enjeu primordial. L’enseignement mathématique traditionnel est sujet à des critiques multiples : dogmatisme, inefficacité et manque de scientificité. Les milieux scientifiques, pédagogiques et politiques conjuguent alors leurs forces pour définir un enseignement mathématique modernisé qui réponde aux exigences du monde de demain.
Loin de l’image d’abstraction et de formalisme qui lui reste attachée, l’enseignement des mathématiques modernes naît ainsi de la volonté de donner aux élèves les concepts et techniques qui leur permettent de comprendre et transformer le monde dans lequel ils vivent. En France, RFA et RDA, la réforme se décline sous diverses formes, ce qui s’explique par des conceptions divergentes sur la nature des mathématiques ainsi que par des projets de société différents. En effet, les mathématiques peuvent être mises aussi bien au service du maintien de l’ordre établi qu’elles peuvent contribuer à la formation d’une pensée autonome. Il s’agira de voir comment les acteurs proposent des interprétations différentes de la modernité mathématique au service d’une modernité qui prend, elle aussi, des apparences multiples et contradictoires.