Parmi les attitudes ottomanes vis-à-vis l’idée de la frontière on peut différencier quelque aspects :
- en théorie, comme un souverain universel, le sultan ottoman ne respectait aucune souveraineté étrangère ; pendant que tous les musulmans du monde devaient suivre ses ordres, les infidèles devaient être soumis par le traité (‘ahd) ou par la guerre (harb ou jihad) ; néanmoins, le titre du « padichah fortuné de la part habitée de la terre » (sa‘adetlü padişah-i rub‘-i meskun) suggérait que les Ottomans n’aspiraient pas au contrôle des régions inhabitables, comme les déserts, les hautes montagnes, ou les océans, sauf quelques mers jugées contrôlables, comme la mer Noire, la mer Rouge et, au moins partiellement, la Méditerranée ;
- à la vérité, pour des raisons de pragmatisme, les Ottomans souvent négociaient et délimitaient leurs frontières avec leurs voisins, par exemple avec Venise ou avec la Pologne, bien avant le traité de Karlowitz ;
- enfin, il faut observer que même dans les régions déjà conquises et contrôlées, comme la Hongrie ou le Yémen, les Ottomans se sentaient souvent dans l’insécurité et « pas chez soi » ; nombreux bains turcs (hammams) ou mosquées dans le style stambouliote, bâtis entre Pécs et Sanaa, et entre Tunis et Kamianets Podilskyï, témoignent des efforts faits pour domestiquer l’espace regardé comme inhospitalier et même hostile.