Les chercheurs qui examinent aujourd’hui l’attitude de la cour de Pologne à l’égard de l’idée de Croisade aux XVe et XVIe siècles soulignent le pragmatisme des souverains jagellons et leur tendance à instrumentaliser les appels pontificaux à lutter contre les Turcs ottomans. Adhérant en façade à l’idée de l’unité de la Chrétienté, donc à celle de la Croisade, les rois de Pologne promurent habilement l’image de leur royaume comme rempart de la Chrétienté sans avoir aucune réelle intention de risquer leur position dans des expéditions aventureuses.
Telle politique fut influée par deux facteurs. D’un côté, les étudiants polonais qui faisaient leurs études en Italie aux XVe-XVIe siècles, et surtout quelques immigrants italiens, comme Filippo Buonaccorsi (Callimachus de son nom de plume), le tuteur des fils du roi de Pologne, ou Bona Sforza, l’épouse du roi Sigismond I, importèrent l’esprit de la renaissance et les idées du « machiavélisme » avant l’heure à Cracovie ; de l’autre côté, avant leur accès au trône à Cracovie, les souverains lituaniens de la famille Jagellon avaient été exposés à une riche tradition d’« interculturalité » typique de la vaste steppe qui s’étend de l’Europe orientale à la Chine.
Par exemple, les princes moscovites confirmèrent des traités avec leurs voisins turcs par un serment religieux dans lequel chacun jurait selon sa propre foi (každyj po svoej vere). Pendant que le tsar scellait son engagement en baisant un crucifix, les envoyés tatars, qui prêtaient serment à Moscou, juraient sur le Coran, dont une copie était conservée au Kremlin spécialement à cet effet.
Les grands-ducs de Lituanie, dont les domaines s’étendaient jusqu’à la mer Noire et au haut Donetz aux XIVe et XVe siècles, partageaient cette culture politique et diplomatique bigarrée. Il leur paraissait naturel que leur entourage immédiat soit païen (puis catholique après 1386) pendant que la masse de leurs sujets étaient des Ruthènes orthodoxes, d’autres encore des Tatares musulmans – avec parmi eux des nobles et des princes.
Sigismond I, qui scandalisa l’Europe par son traité avec la Prussie – le premier État luthérien d’Europe – conclu en 1525, et puis par son alliance avec le sultan Souleiman (1533), n’attendit pas que Bona vienne d’Italie et le persuade de contracter une alliance avec les infidèles pour suivre les intérêts de son État. Il n’avait qu’à regarder en arrière, dans les annales de sa propre dynastie.