La saturation catholique de « Combray » est intense durant la journée du dimanche. Comment les premiers lecteurs lisaient-ils les pages consacrées à l’église, à la visite du curé et à son érudition sur l’église, au mauvais temps des Rogations et à la conversation entre la tante Léonie et Françoise ? On ne trouve rien à ce sujet, sauf dans une lettre de Proust de janvier 1914 montrant que Mme Gaston de Caillavet, née Jeanne Pouquet, a retenu un récit de « première communion » (Corr., XIII, 91, 97), qui est en réalité absent du livre.
Les thèmes catholiques du premier volume font songer au côté barrésien de Proust. Il intitule en 1919 une partie de Pastiches et mélanges « En mémoire des églises assassinées », c’est-à-dire des églises détruites par la guerre, après avoir été désaffectées par l’anticléricalisme. Cette section de 1919 contient notamment l’article « La mort des cathédrales », publié en 1904 lorsqu’on préparait la loi de la séparation des églises et de l’État. Proust y faisait appel à l’État pour maintenir les rites catholiques (CSB, 141-149).
Invention des jésuites au XVIIIe siècle, le mois de Marie ne s’est pas répandu en France avant la Restauration et même avant la monarchie de Juillet. Les premiers livres italiens sont traduits à partir de 1816, alors que la première mention dans la littérature n’apparaît qu’en mai 1836. Lié au culte marial en France, le mois de Marie est un grand succès du XIXe siècle. Les références dans « Combray » rattachent Proust au catholicisme des missions populaires, encore très familier en 1913. Il sait qu’en introduisant le mois de Marie dans son roman, c’est le mois des communions et des baptêmes, durant lequel on ne se marie pas. Le manuscrit de 1909 contient un dialogue ironique et explicite avec des aubépines, au cours duquel le mois de Marie est opposé au républicanisme.
Au-delà du mois de Marie et des aubépines, le réseau de métaphores catholiques se poursuit jusqu’au bout de « Combray ». L’apparition de Mme de Guermantes dans l’église pour le mariage de la fille du docteur Percepied est le dernier moment catholique de cette première partie de Swann. Dans une esquisse du Cahier 13, la duchesse vient à la cérémonie pour « rendre le pain bénit ». Cet ancien usage de la pastorale est absent du texte définitif. Mais dans la scène du déjeuner de dimanche, on rencontre le « pain bénit venu lui aussi familièrement en sortant de l’église ». Un peu plus bas, on lit « une brioche parce que c’était notre tour de l’offrir » (RTP, I, 70). Dans un brouillon de ce passage (Cahier 14), elle vient en effet de l’église. Cette esquisse est reprise en 1910 dans le Cahier 30 : « c’était le tour de notre banc. » Cette « brioche bénie » est notée dans l’agenda de 1906 (3 janvier), utilisé plus tard par Proust comme carnet de notes et passé en vente chez Christie’s à Paris le 29 avril 2013. Une telle présence du fil catholique du pain bénit dans les cahiers de brouillon permet de relire différemment le passage de « Combray » sur le déjeuner où « une brioche plus grosse que d’habitude » est mise en rapport avec le clocher « doré et cuit [...] comme une plus grande brioche bénie » (RTP, I, 64).