Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Continuons l’interprétation de l’oreiller dans le deuxième paragraphe de « Combray ». Associant cet objet à l’enfance et à la sensualité, Proust reprend un cliché de la poésie du XIXe siècle, par exemple dans « Le crépuscule du matin » de Baudelaire et « En voyage » de Sully Prudhomme, poèmes connus de lui. Dans les cahiers de brouillon ainsi que dans le texte définitif, l’oreiller est associé aux boucles pour représenter la protection contre le monde hostile incarné dans le grand-oncle (RTP, I, 4). Plus loin, le thème est repris dans l’évocation des différentes chambres, où il est mis en rapport avec l’image du nid, inspirée de L’Oiseau (1856) de Michelet (RTP, I, 7). Cette configuration boucles-oreiller-nid est liée à l’érotisme, comme le suggère le passage d’Albertine disparue où le narrateur compare l’amour au fétichisme d’un enfant disant : « Mon cher petit lit, mon cher petit oreiller, mes chères petites aubépines » (RTP, IV, 78). On se souviendra de la scène de l’adieu aux aubépines dans « Combray », dont une partie remonte à « Robert et le chevreau, Maman part en voyage », rédigé au début de 1908. Lors d’une prépublication du passage en 1912, sa dimension obscène et provocatrice – qui sera renforcée dans le texte définitif par la référence au « goût d’une frangipane » (RTP, I, 112) – n’a pas échappé à Robert de Montesquiou (Corr., XI, 66). Dans Sodome et Gomorrhe I, l’association de l’oreiller et des boucles dénonce l’homosexualité (RTP, III, 23). L’oreiller est encore lié à Sodome dans la plus longue phrase de la Recherche (RTP, III, 17), inspirée, comme l’ont montré Nathalie Mauriac Dyer et Yuji Murakami, d’une exégèse biblique de Ruskin dans Sésame et les Lys, traduit par Proust lui-même (1906).

Représentant l’enfance et la sensualité et surdéterminé par diverses allusions christiques et pédérastiques, l’oreiller dans « Combray » est un embrayeur de souvenirs aussi essentiel et plus érotique que la madeleine qui le suit. Les premiers lecteurs avaient raison de s’étonner de l’ouverture du roman qui avait de quoi choquer, d’autant plus qu’elle s’orientait dès le deuxième paragraphe vers une certaine sexualité. Celle-ci est développée dans le quatrième paragraphe qui commence par la phrase « Quelquefois, comme Ève naquit d’une côte d’Adam, une femme naissait pendant mon sommeil d’une fausse position de ma cuisse » (RTP, I, 4). Le rêve érotique décrit dans ce paragraphe, qui peut être lu comme une récriture de « À une passante » de Baudelaire, était initialement lié à la scène de l’onanisme (RTP, I, 156).

Il s’agit du Cahier 5, qui date de 1909. La réflexion sur le plaisir solitaire s’y interpole dans le fragment pour le réveil. La comparaison des fils de la Vierge employée dans ce passage fait songer à la page de L’Insecte de Michelet consacrée à la « formation de leurs belles toiles d’automne, si poétiques, qu’on appelle les fils de la Vierge ». N’oublions pas que l’image des fils de la Vierge est elle aussi un cliché poétique du XIXe siècle. L’associant à la trace d’un colimaçon, Proust mêle d’une manière scandaleuse le poétique et le trivial, le pur et l’impur. Les fils de la Vierge effacés dans le texte définitif apparaissent plus loin à propos des aubépines et du mois de mai (RTP, I, 111). Dans le brouillon de ce passage, ils sont associésde manière constante à l’odeur d’amandes des aubépines. Cela nous permet de conclure que Montesquiou n’était pas un si mauvais critique de ces pages.

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