Notre intérêt s’est porté sur les représentations des divers paramètres sonores dans le cortex auditif primaire A1, et tout d’abord, sur la représentation fréquentielle (tonotopie). Elle fait référence à l’organisation spatiale des neurones en gradient en fonction de leur sensibilité préférentielle à une fréquence sonore donnée. La tonotopie est présente dans la cochlée et elle est préservée dans les noyaux neuronaux des voies auditives centrales. Elle a été rapportée dans le cortex auditif primaire A1 de nombreuses espèces de mammifères incluant l’homme, les primates non humains, et le chat. Pourtant, chez la souris, son existence dans l’aire A1 était encore en débat en 2010. Or une absence de tonotopie dans l’aire A1 de souris pouvait fortement limiter l’intérêt de l’étude du traitement cortical des sons dans cette espèce. Entre 2010 à 2013, ce point a été progressivement clarifié. Un travail réalisé en 2010 (Bandyopadhyay S., Shamma S.A., Kanold P.O., Nat. Neurosci., 2010) par imagerie calcique biphotonique chez des souris anesthésiées a montré l’existence d’une carte tonotopique grossière au niveau de l’aire A1 (une tonotopie rostro-caudale allant des hautes aux basses fréquences avec un gradient d’environ 3 octaves/mm, et couvrant l’ensemble du cortex A1). L’étude a été étendue à la recherche d’une cartographie des neurones fondée soit sur la largeur de la bande passante de leur réponse, soit sur leur réponse préférentielle à une intensité donnée. Pour des neurones adjacents, une assez grande hétérogénéité des largeurs de leurs bandes passantes a été observée. Aucune organisation spatiale graduelle des neurones évoquant une « cartographie d’intensité » n’a été observée. En revanche, une formation en microdomaines composés de quelques neurones partageant une réponse préférentielle aux mêmes intensités a été notée. La démarche a été élargie à la recherche de regroupements spatiaux de neurones, fondée sur la réponse non plus à un seul paramètre mais à plusieurs. L’absence d’une authentique carte tonotopique corticale chez la souris, en dépit d’une organisation tonotopique grossière à grande échelle, a été confirmée par une autre étude (Rothschild G., Nelken I. et Mizrahi A., Nat. Neurosci., 2010). Deux études publiées en 2011 et 2012, portant sur des analyses électrophysiologiques effectuées chez des souris anesthésiées (Hackett T.A., Barkat T.R., O’Brien B.M., Hensch T.K., Polley D.B., J. Neurosci., 2011 ; Guo W., Chambers A.R., Darrow K.N., Hancock K.E., Shinn-Cunningham B.G., Polley D.B., Winkowski D.E., Kanold P.O., J. Neurosci., 2012), ont cependant apporté des éléments en faveur de l’existence d’une carte tonotopique dans la couche L4 de l’aire corticale A1 de la souris. En 2013, une étude en imagerie calcique biphotonique utilisant le Fluo-4, strictement concentrée sur la couche L4 de l’aire corticale A1, c’est-à-dire la couche de projection des afférences thalamo-corticales, (Winkowski D.E., Kanold P.O., J. Neurosci., 2013), a apporté la preuve définitive d’une organisation tonotopique de cette couche corticale. L’organisation tonotopique disparaît dans les couches L2/L3, ce qui indique qu’une transformation de l’information sensorielle a lieu lors du passage de L4 à L2/L3.
Nous nous sommes ensuite intéressés aux avancées récentes portant sur les bases neuronales de la discrimination sonore. Un travail réalisé sur les réponses des neurones des couches L2/L3 étudiées par imagerie calcique chez des souris anesthésiées (Bathellier B, Ushakova L. and Rumpel S., Neuron, 2012) a conclu à l’existence d’un répertoire limité de réponses pour une population donnée de neurones. La discrimination sonore se tiendrait dans la réponse globale du cortex, qui mettrait à profit la combinaison de modes distincts de réponse pour engendrer une réponse globale spécifique d’un stimulus. Ce travail a révélé aussi l’existence d’un mode de fonctionnement non linéaire du cortex auditif : les réponses des neurones dans un champ qui répond à deux sons selon des modes distincts montrent que, lors de la réponse à un mélange de ces deux sons, les modes de réponse sont soit d’un type, soit d’un autre, et ne sont jamais mélangés. Au total, une représentation discriminante des sons n’émerge dans la couche L2/L3 du cortex auditif qu’à un niveau global, représentation dans laquelle les unités fonctionnelles sont formées de quelques centaines de neurones. Une très faible fraction de ces unités fonctionnelles rend compte d’une grande part de la discrimination pour une paire de sons donnée.
Une avancée notable concernant l’organisation et le fonctionnement des microcircuits neuronaux, fruit d’un travail publié très récemment, a été discutée (Cossell L., Mrsic-Flogel T.D., Nature, 2015). La force des connexions synaptiques entre neurones détermine la façon dont ils influencent leurs réponses respectives. L’amplitude des réponses excitatrices entre des paires de neurones corticaux varie de deux ordres de grandeur, mais seul un petit nombre de connexions synaptiques sont très fortes. Cette hétérogénéité des forces de connexion synaptique est observée dans diverses aires corticales, mais sa contribution au traitement de l’information dans des microcircuits locaux n’est pas connue. Pour aborder cette question, l’intensité de la réponse des neurones des couches L2/L3 du cortex visuel primaire V1 à diverses stimulations visuelles a été étudiée, par imagerie calcique biphotonique, chez des souris anesthésiées. La région imagée a été marquée puis, par des enregistrements électrophysiologiques sur tranches de cortex (patch-clampen configuration cellule entière), la force des connexions synaptiques entre les neurones imagés a été mesurée par l’amplitude de leurs potentiels post-synaptiques excitateurs (PPSE). L’imagerie ultrarapide a permis d’identifier des paires de neurones dont les réponses présentent une forte corrélation temporelle. Leur distribution fait apparaître l’existence d’une petite population de paires de neurones dont l’activité est hautement corrélée. Les PPSE dont l’amplitude est la plus forte sont associés à ces neurones. Ce résultat est en accord avec l’hypothèse formulée par Hebb en 1949 (Hebb D.O., 1949), selon laquelle la corrélation d’activité des neurones accroît la force de leurs contacts synaptiques. Les résultats montrent aussi que la moitié de la force synaptique proviendrait de l’activité des 7 % des paires de neurones dont la réponse à un stimulus est la plus fortement corrélée. À l’inverse, les connexions synaptiques faibles sont celles de neurones dont les réponses ne sont pas corrélées. Les connexions synaptiques fortes et réciproques surviennent souvent entre des neurones engagés dans les mêmes fonctions. On aboutit donc à une simplification de l’apparente complexité des réseaux neuronaux. L’établissement de connexions synaptiques fortes pourrait amplifier la réponse à des stimuli spécifiques dans les microcircuits corticaux. Les auteurs proposent que les connexions synaptiques faibles assurent, quant à elles, la plasticité de réponse des réseaux neuronaux. Il y a là une incitation à repenser la façon dont on explore les microcircuits cérébraux.