Le cours 6 (6 avril) a présenté quelques voies de recherche à poursuivre. On a rappelé que le retour en grâce des vertus en épistémologie n’a pas été le seul fait de « l’épistémologie des vertus » mais s’est trouvé associé soit 1) àla suspicion frappant les approches plus déontologiques de la connaissance, en termes de devoirs et d’obligations, et dans le cadre d’une éthique de la croyance ; 2) à la conviction que l’épistémologie ne doit pas se borner à la sphère de la justification et de la connaissance, mais doit s’ouvrir à l’évaluation épistémique en général (et donc aux délibérations menées dans nos enquêtes épistémiques, mode plus naturel où se manifeste la connaissance, ainsi qu’aux mécanismes qui s’y déploient : doutes, émotions épistémiques, sentiment de rationalité, etc.), voire privilégier d’autres modalités épistémiques que la connaissance ou l’enquête, en misant sur la priorité de la compréhension, de la sagesse ou de l’épanouissement humain ; 3) à l’idée, de plus en plus admise, que les vertus épistémiques peuvent être étudiées pour elles-mêmes, qu’on peut en dresser des listes et montrer à quels vices épistémiques elles s’opposent. Mais on a noté que ce genre d’analyse glisse aussi souvent de l’épistémologie vers l’éthique, et qu’on finit par se demander ce qu’ont de proprement « épistémiques », les vertus ou vices en question. Qu’il y ait des « biais » ou des « injustices [1] », certes : quant à savoir ce qu’ils ont d’intrinsèquement « épistémique », c’est moins clair.
On a rappelé qu’une difficulté majeure de toute réflexion visant à spécifier la nature des vertus épistémiques est de déterminer si – et si oui, jusqu’où – on peut distinguer les deux registres, épistémique et éthique ; mais aussi que parier sur l’importance de vertus proprement « épistémiques », c’est parier sur la possibilité d’une authentique éthique intellectuelle. Aussi a-t-on proposé, pour finir, d’en dessiner les contours de manière à éviter le double écueil d’une simple déontologie professionnelle ou d’une pure réduction à l’éthique. On a donc rappelé : 1. Pourquoi il est avantageux de préférer les vertus aux devoirs en gardant à l’esprit les difficultés d’une analyse déontologique. 2. Les principaux apports, pour la réflexion, de l’épistémologie des vertus dans ses deux principales variantes. 3. Pour quelles raisons, toutefois, le changement de braquet suggéré par l’épistémologie des vertus ne s’impose pas, et qu’on peut conserver et les vertus et l’épistémologie classique. 4. De quelle façon on peut même invoquer une unité minimale des vertus, selon les modalités de la connaissance sur lesquelles, à tel ou tel moment de l’enquête, on juge important de mettre l’accent. 5. Pourquoi une analyse complète des vertus impose une réflexion plus large sur la normativité épistémique et sur l’axiologie. Il ne faut donc pas dissocier vertus épistémiques et vertus morales, au sens surtout où les dernières constituent un sous-ensemble des premières, et non l’inverse, et parce que l’éthique intellectuelle s’impose comme ce combat constant contre une insensibilité galopante aux valeurs de l’esprit, à ces vices épistémiques que sont la sottise, la Dummheit, ou la foolishness, et comme l’exigence qui doit être la nôtre, si nous sommes épris d’un idéal démocratique, d’éducation de la sensibilité de chacun aux valeurs cognitives de vérité et de connaissance.
Références
[1] M. Fricker, Epistemic Injustice, Oxford, Oxford University Press, 2007.