Perception of Quadrilaterals: A Human Singularity for Geometry
Résumé
Comment tester, expérimentalement, l’hypothèse d’un langage de la géométrie et sa spécificité à l’espèce humaine ? Une série d’expérience, qui a fait l’objet de la thèse de Mathias Sablé-Meyer, a porté sur la perception des quadrilatères. Nous avons créé un test de recherche d’intrus dans lequel les participants devaient détecter une forme déviante parmi cinq répétitions de la même forme de base. Par exemple, la forme de base pouvait être un rectangle, avec des variations de taille et d’orientation, et la forme déviante le même rectangle avec un coin déplacé. Les résultats ont montré un important effet de régularité géométrique : plus la forme de base possède de régularités géométriques (côtés parallèles, côtés égaux, angles droits ou angles égaux), plus les intrus sont faciles à détecter. Ainsi, les carrés, rectangles, trapèzes ou parallélogrammes, qui possèdent des régularités compressibles, sont beaucoup plus faciles à représenter mentalement que des quadrilatères quelconques qui en sont dépourvus.
Une série d’expériences, dont certaines non publiées, montrent que (1) cet effet de régularité géométrique est hautement reproductible, y compris chez des enfants d’âge préscolaire et chez des adultes sans éducation ; (2) les primates non humains ne semblent pas capables de comprendre ce type de régularité géométrique ; (3) les réseaux de neurones artificiels à convolution, qui dominent actuellement le domaine de l’intelligence artificielle, modélisent bien les performances des primates non-humains, mais sont incapables d’expliquer cet aspect élémentaire de la perception visuelle humaine, la reconnaissance d’un simple carré ; (4) deux stratégies sont disponibles pour résoudre la tâche de l’intrus géométrique : une stratégie perceptive, disponible chez tous les primates, dans laquelle les formes géométriques sont traitées dans le système visuel ventral comme n’importe quelle image ou n’importe quel visage ; et une stratégie symbolique, apparemment disponible uniquement chez les humains, dans laquelle les formes géométriques sont comprimées en fonction de leurs propriétés géométriques (parallélisme, angles droits, symétries, etc.) ; (5) l’imagerie cérébrale, tant en IRM fonctionnelle qu’en magnéto-encéphalographie (MEG), démontre l’existence de ces deux voies corticales distinctes pour la perception des formes géométriques.
Ainsi, la perception ou le dessin d’un simple rectangle, comme à Lascaux, signale déjà les prémices d’un langage des objets mathématiques, universel et propre à l’espèce humaine.