Les diatomées sont des micro-algues photosynthétiques unicellulaires vivant aussi bien dans l'eau douce que dans l’eau de mer. Il existe plus de 250 genres et plus de 200 000 espèces. Les diatomées possèdent une coque appelée frustule, constituée de silice amorphe. Ces frustules présentent des architectures 3D complexes qui sont obtenues par auto-assemblage génétiquement contrôlé d’éléments nanométriques régulièrement disposés (pores, canaux, protubérances).
Ces structures très esthétiques et fonctionnelles ont inspiré aussi bien les artistes du nano-art que les architectes et les ingénieurs lors de la conception de bâtiments et d’aéronefs. Utilisant la photosynthèse comme source d'énergie (conversion photo-assistée du dioxyde de carbone et de l’eau en sucres et oxygène), les diatomées vivent la où la lumière du soleil peut pénétrer. C’est-à-dire dans la zone euphotique située entre la surface de la mer ou du lac et des profondeurs de l’ordre 200 m. Elles sont essentielles à la vie sur terre, puisqu’elles produisent de l'ordre de 20 % de l'oxygène que nous respirons. Lorsqu’elles meurent, elles sédimentent au fond de l'océan produisant ainsi un immense puits à dioxyde de carbone. Leur rôle est donc essentiel dans le cycle du carbone de la terre.
Ces micro-algues sont également de riches modèles pour l’étude des processus de biominéralisation de la silice. Le fait que les génomes de plusieurs diatomées aient été séquencés dans la dernière décennie associé aux progrès réalisés dans les méthodes physico-chimiques de caractérisation a permis de clarifier en partie les relations entre les biomacromolécules présentes, les processus d’auto-assemblage et la construction des architectures complexes en silice. Trois groupes de biomolécules sont fortement associées au processus de biosilification : les silaffines, les silacidines et les polyamines à longue chaîne. Les silaffines et silacidines sont des peptides ou des protéines qui portent de nombreux résidus phosphate attachés à des acides aminés (sérine et thréonine), alors que les polyamines à longue chaîne sont des composantes non protéiques essentiellement linéaires constitués de chaînes oligo-propylèneimine. Via des processus d’auto-assemblage, essentiellement sous contrôle électrostatique, ces macromolécules biologiques forment des bio-agrégats. Au premier ordre, la taille des bio-agrégats et la quantité d'oligomères siliciques qui s’y lient déterminent la taille finale des sphères de silice dans l’architecture silicique de la diatomée. In vitro ces biomolécules ont aussi la capacité d'influencer considérablement la cinétique et la structure des silices formées. La compréhension de ces mécanismes est une source d’inspiration pour développer de nouveaux procédés de synthèse et des structures hybrides organique-inorganique originales. Du point de vue de la recherche fondamentale, les diatomées sont susceptibles de contribuer à la résolution de l'une des questions encore non totalement résolue en biologie : Quelle est l’implication détaillée du génome dans la création des formes et quels sont les leviers de contrôle de leurs évolutions. Bien que pour un petit ensemble de diatomées quelques hypothèses concurrentes aient été émises récemment, il faut se garder de conclusions hâtives. Il est nécessaire d’amplifier les observations et les analyses physico-chimiques intracellulaires pour mieux comprendre la nature et la dynamique des phénomènes mis en jeu.
En termes de science des matériaux les diatomées permettent de développer de nouvelles voies de recherche et de développement. Les architectures fortement poreuses de leurs frustules ont permis d’utiliser les diatomites (diatomées fossiles) comme : adsorbeurs de molécules toxiques et de métaux lourds, supports de molécules réactives et de catalyseurs, filtres et membranes, vecteurs de principes actifs en agriculture et en cosmétique. En raison de leur abondance et de l’évolution structurale de leurs frustules en fonction de la pollution, les diatomées sont aussi utilisées comme indicateurs de la qualité de l'eau. Les diatomées pouvant être produites par aquaculture et présentant une grande diversité dans leurs nano-structures, micro-structures et morphologies, elles sont une source facilement accessible et suffisamment abondante pour permettre l’obtention de quantités nécessaires à la réalisation d’études en science des matériaux.
Plus particulièrement, au cours des dix dernières années, depuis l'explosion des nanotechnologies, de nombreux travaux de recherche essayent de tirer partie des structures poreuses multi-échelles des diatomées. Les applications potentielles de ces nouveaux matériaux ou dispositifs à base de diatomées ont été abondamment présentées et discutées dans le cadre de la sixième leçon. La modification chimique et/ou biochimique des frustules des diatomées conduit à l’obtention de matériaux présentant un ensemble de propriétés originales. Les frustules en silice poreuse acceptent des taux de principes actifs élevés, sont biocompatibles et facilement fonctionnalisées par des composantes organiques ou biologiques, ce qui permet d’élaborer des vecteurs thérapeutiques hybrides pour la délivrance contrôlée de médicaments. Des vecteurs pour la théranostique couplant ciblage, diagnostique et thérapie ont déjà été réalisés. Des études récentes ont également démontré que ces micro-algues peuvent être une source durable de biocarburants. Les structures des nanopores des frustules sont semblables à celles des cristaux photoniques dans lesquels les photons se propagent comme les électrons dans un cristal semi-conducteur, générant des zones d’énergie permise et interdite. Grâce à cette propriété, les frustules peuvent servir de micro-lentilles pour optimiser les réponses optiques et concentrer la lumière dans des dispositifs de conversion et de stockage de l’énergie tels que des cellules photovoltaïques, cellules solaires à colorant, cellules photoélectrochimiques, les batteries photo-rechargeables… D’autre part, la transformation topotactique des diatomées en différents matériaux : semiconducteurs, conducteurs, piézoélectriques (TiO2, BaTiO3, Si, nanocomposites diatomée-graphène, etc.) ouvre de nombreuses possibilités pour l’élaboration de matériaux dont les propriétés irriguent les domaines de l’énergie et de l’environnement. En particulier, les propriétés de photoluminescence ou de conduction de ces matériaux sont sensibles à l’adsorption de gaz, de molécules ou de biomolécules. Cette sensibilité amplifiée par la porosité multi-échelle des frustules permet d’élaborer des capteurs à gaz et des biocapteurs performants. La transformation des frustules de silice en l’élément silicium permet d’élaborer des batteries Li-ion à électrode négative en silicium dont les performances sont prometteuses.
Les diatomées peuvent également former des suspensions colloïdales stables permettant l’obtention par lithographie de composants de circuits en microélectronique ou de réseaux de capteurs. Ces composantes sont modifiables chimiquement dans une seconde étape par ALD (Atomic Layer Deposition) ce qui permet encore de diversifier les fonctionnalités accessibles.
Sans aucun doute, une meilleure compréhension de la structure des diatomées et de leur génomique, de leurs propriétés mécaniques, optiques et photoniques et de leur processus de bio-minéralisation conduiront à la nano-fabrication et à l'ingénierie de nouveaux matériaux et dispositifs. Les diatomées continueront à jouer un rôle important en biologie et en science des matériaux car leur beauté ne cesse d’inspirer tous ceux qui les étudient.