Le dioxyde de silicium SiO2 est le minéral le plus abondant sur terre. Il existe principalement sous forme de cristaux (quartz, cristobalite), de verres et de silices artificielles amorphes. Les applications des oxydes de silicium sont très nombreuses et couvrent cinq principaux domaines industriels : l’électronique et la bijouterie (résonateurs, oscillateurs, capteurs, pierres semi-précieuses), la cosmétique et l’alimentation (relargage d’huiles et de parfums, antibactérien, dentifrices, protection solaire…), la chimie de spécialité (ajouts pour les matériaux de construction, encapsulation et relargage de composés, charges minérales dans les polymères et dans les pneus…), la santé (délivrance de principes actifs peu solubles, composants de pansements et de cicatrisants). Dans le cadre de leurs nombreuses applications les dioxydes de silicium peuvent être élaborés ou utilisés sous la forme de poudres dont les grains sont de taille micronique, submicronique voir nanométrique. Ces formes pulvérulentes peuvent être également générées par abrasion au cours de la réalisation de certains métiers (construction et isolation, travaux dans les carrières, mineurs, porcelainiers, prothésistes…). Par conséquent, il nous a semblé important de faire le point sur les connaissances actuelles sur la toxicité des dioxydes de silicium SiO2. Les poudres de silice cristalline (quartz, cristobalite) et celles issues des verres industriels entraînent des inflammations des voies respiratoires (fibrose, œdème, cancer du poumon) et sont cytotoxiques. Cette cytotoxicité est due au fait que le broyage de ces silices cristallines peut créer des concentrations très élevées de radicaux en surface (ROS pour Radical Oxygen Species) qui génèrent un fort stress oxydant. De plus cette toxicité peut être accrue car certains quartz ou cristobalite peuvent être contaminées par du fer dont la présence entraîne des réactions de type Fenton, source supplémentaire de formation de radicaux libres hydroxyles. Le diagnostic est beaucoup moins évident en ce qui concerne les silices amorphes, souvent utilisées sous forme de poudres nanostructurées dans des applications telles les charges minérales pour améliorer le contrôle rhéologique et les comportements mécaniques, les catalyseurs, les desséchants, les dentifrices, les vecteurs cosmétiques ou thérapeutiques. Ces silices amorphes sont produites en grandes quantités (la production mondiale en nanoparticules de silice amorphe a été estimée à 1,3 tonnes par an en 2000), et de ce fait elles représentent les nanoparticules synthétiques les plus abondantes sur terre.
Les nanoparticules de silice amorphe sont préparées suivant deux modes de synthèse principaux : à haute température (1200 à 1400 °C) par pyrolyse à la flamme de précurseurs chlorés (SiCl4) suivie d'une trempe thermique rapide pour former ce que l'on appelle des fumées de silice ou par chimie douce en solution aqueuse via des réactions de polycondensation mettant en jeu des groupes silanols (≡Si-OH + HO-Si≡ ⇔ ≡Si-O-Si≡) pour former des silices colloïdales denses ou mésoporeuses.
Les silices amorphes manquent d’ordre à grande distance, et en raison d'un paysage énergétique plat, leurs structures sont fortement dépendantes de facteurs cinétiques et environnementaux. Ces facteurs se manifestent principalement par des différences dans :
- l'architecture du réseau siloxane qui consiste en une combinaison de cycles dont la concentration, le motif (nombre de chaînons constituant le cycle) et la répartition (dans l’ensemble du matériau ou principalement près de la surface) ;
- l'étendue du réseau de liaisons hydrogène formé par les groupements silanols (≡Si-OH).
Nous avons discuté des relations structure / toxicité pour des nanoparticules de silice amorphe de même taille synthétisées à basse température ou à haute température. Sur la base de tests hémolytiques sur érythrocytes, de l'évaluation de la viabilité cellulaire et des niveaux d'ATP dans des cellules épithéliales et des macrophages, il apparaît nettement que les fumées de silice présentent une toxicité importante, qu’elles soient fraîchement préparées ou recuites ou même après vieillissement à l’air. Par contre les silices colloïdales, élaborées par chimie douce, dans des conditions de traitement identique, sont non toxiques. En particulier pour les fumées de silice il existe une bonne corrélation entre la toxicité et la concentration en groupements hydroxyle et leur potentiel à générer des espèces réactives de l'oxygène (ROS) qui provoquent l’hémolyse des globules rouges. Grâce à la combinaison de caractérisations spectroscopiques (spectrométries vibrationnelles Raman et infra-rouge, résonance paramagnétique électronique…) et d’analyses physiques (diffusion de rayons X, microscopies), la détermination de l'état d'agrégation des silices, de la concentration en groupements hydroxyle, de la proportion relative de cycles de siloxane contraints et non contraints et leur potentiel à générer des radicaux hydroxyles, l’origine structurale de la toxicité de certaines silices amorphes a pu être mieux cernée. La toxicité des fumées de silice semble principalement provenir de leur importante population de cycles contraints à trois chaînons créés par leur mode de synthèse et de leur forte concentration en groupements hydroxyles. Les liaisons hydrogène et les interactions électrostatiques des silanols à la surface des agrégats des fumées de silice entraînent de fortes perturbations de la membrane plasmique extracellulaire détectées par des inflammasomes dont l'activation ultérieure conduit à la sécrétion de cytokines.
Les radicaux hydroxyles engendrés par les petits cycles tendus fortement présents dans les fumées de silice mais très minoritaires dans les silices colloïdales, contribuent fortement à l'activation de l'inflammasome.
En conclusion, il semble que la cristallinité ne soit pas une condition préalable à la toxicité des oxydes de silicium. Certaines nanoparticules de silice amorphe présentent des toxicités au moins égales, voire supérieures, à celles des silices cristallines. Dans les silices amorphes la production de ROS est fortement promue par la présence de cycles siloxane tendus à trois chaînons formés à haute température et fortement instables à l’hydrolyse. Ces cycles tendus sont facilement observables par spectroscopie Raman et sont absents dans toutes les silices colloïdales (silice Stöber, mésoporeux de silice, silices LUDOX, gels de silicalite et gels de silice) qui sur la base des tests effectués dans la littérature ne présentent pas de toxicité. Ces petits cycles présents dans les fumées de silice synthétisées à haute température et dans la silice vitreuse servent de réservoir de ROS qui peuvent être générés continûment via l’hydrolyse de la surface ou la dissolution des nanoparticules, ce qui explique en grande partie la toxicité observée pour ces silices. L’utilisation de revêtements polymériques ou de bicouches lipidiques masquent les interactions entre les cellules et les groupements hydroxyle et par conséquent diminue voir supprime la cytotoxicité. La stratégie qui est utilisée dans les travaux récents concernant les vecteurs de principes actifs est d’une part, de sélectionner des silices amorphes élaborées par chimie douce et d’autre part, de les recouvrir par une couche organique hybridante porteuse de multiples fonctionnalités. Cette double condition rend plus fiable l’utilisation de ces nanomatériaux.