Le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) est un lentivirus qui, en infectant les lymphocytes T CD4, est responsable du syndrome d’immunodéficience acquise (Sida) caractérisé par la survenue d’infections opportunistes, d’encéphalopathie et de tumeurs conduisant, en l’absence de traitement, au décès en quelques années. La biologie du virus, isolé en 1983 puis cloné en 1985, est aujourd’hui bien connue. Son mode d’entrée (récepteurs membranaires CD4 et récepteurs de chimiokines CCR5 ou CXCR4), l’intégration de son matériel génétique dans le génome de la cellule infectée après rétrotranscription de l’ARN génomique viral, les conditions de production de ces constituants, l’assemblage des virions et leurs productions ont été bien caractérisés. L’épidémiologie de l’infection est également bien connue. À ce jour, 37 millions de personnes sont infectées dans le monde, 95 % vivent dans des pays pauvres, 50 % sont des femmes et 9 % des enfants. Deux millions de nouveaux cas surviennent chaque année. À ce jour, un peu plus de la moitié des patients sont traités par combinaison de chimiothérapie antirétrovirale, loin encore de l’objectif de l’OMS « 90/90/90 » : 90 % de patients diagnostiqués dont 90 % traités et 90 % d’entre eux en rémission clinique. Les modalités de transmission du virus via les muqueuses ou le sang et les facteurs de risques associés ont été également bien déterminés. Lors de l’infection, il est observé une perte rapide de lymphocytes T CD4, directe par effet lytique de la réplication virale ou indirecte du fait de l’activation lymphocytaire chronique. Il est estimé qu’environ 1010 particules virales sont produites (et détruites par le système immunitaire) chaque jour expliquant une capacité de propagation de l’infection dans les tissus lymphoïdes muqueux et les organes lymphoïdes secondaires riches en lymphocytes T CD4. L’organisme cherche à limiter l’infection par la mise en jeu de multiples effecteurs de l’immunité : facteurs de restriction du cycle viral par l’immunité innée, à l’égard desquels le virus a développé des « contre-mesures », réponses adaptatives B et T, notamment cytotoxiques dont on sait aujourd’hui que de la mise en jeu précoce et intense après le début de l’infection dépend la capacité de limiter l’infection comme discuté plus loin. Cette réponse n’est, pour l’essentiel, pas suffisante du fait de plusieurs facteurs critiques : a) infection et destruction des cellules impliquées dans les réponses immunes, b) taux de mutation élevé du virus du fait du caractère « infidèle » de la transcriptase reverse qui lui permet d’échapper aux réponses immunes par sélection de mutants. Ces caractéristiques rendent aussi compte à ce jour de l’échec des tentatives de protection par vaccination.
Deux grandes questions occupent aujourd’hui le champ de la recherche sur l’infection par le VIH : i) le concept de réservoir viral, et ii) le fait qu’un petit nombre de sujets infectés contrôlent la réplication du virus même en l’absence de traitement : les « elite controllers ».
Le traitement antirétroviral permet de réduire considérablement la réplication virale et ainsi de restaurer un pool de lymphocytes T CD4 suffisant pour contrôler les risques infectieux, mais il épargne un réservoir de cellules infectées de façon latente ou avec un taux de réplication virale faible. L’arrêt du traitement conduit à une reprise rapide de la réplication virale et à la réapparition du déficit immunitaire. Il est donc critique de comprendre les caractéristiques de ce réservoir afin d’essayer de le cibler par de nouvelles stratégies thérapeutiques. Ce réservoir concerne environ 1 lymphocyte T CD4/106, capable de reprendre une réplication virale effective. La durée de vie de ce pool est de l’ordre de 44 mois, sa stabilité indiquant un équilibre entre perte cellulaire et division. On sait aujourd’hui qu’il est établi très tôt dans le cours de l’infection lors de la transition des lymphocytes T du stade effecteur à mémoire, soit après environ 6 à 12 jours d’infection au stade d’expression maximale du corécepteur du VIH CCR5. La capacité d’expansion (nécessaire au maintien du réservoir) est essentiellement le fait des capacités de prolifération homéostatique ou induite par un antigène, caractéristiques des cellules T mémoires. Diverses stratégies ont été envisagées pour détruire ce réservoir reposant sur l’activation de la réplication virale par des agents modificateurs épigénétiques suivies d’une immunothérapie ciblée par lymphocytes T CD8 cytotoxiques. Si cette approche a pu s’avérer efficace dans des modèles expérimentaux in vitro, les tentatives de mise en œuvre in vivo (souris humanisées) s’avèrent à ce jour un échec du fait de la résistance des lymphocytes infectés par sélection in vivo de résistance aux cellules cytotoxiques. Il faudrait pouvoir agir très précocement au cours de l’infection en maximisant la réponse immune cytotoxique au cours de l’établissement du réservoir.
Une petite fraction d’individus infectés par le VIH (< 1 %) continue à contrôler la réplication virale après interruption du traitement antirétroviral, et ce, pendant des années ou des dizaines d’années. La compréhension de ce(s) mécanisme(s) de contrôle est bien sûr clé pour obtenir un tel effet chez tous les sujets infectés ! On sait que cette situation ne reflète pas de différence de souches virales infectantes. Les sujets « controllers » ont des caractéristiques génétiques (allèle HLA et KIR) qui contribuent (sans être rigoureusement indispensables) au fait que les réponses immunes T soient plus intenses, plus diversifiées – tant en matière d’Ag reconnus que de fonctions effectrices – et sans doute d’apparition plus précoce au cours de l’infection.
Néanmoins, le contrôle de l’infection n’est pas complet chez ces sujets. Il persiste un certain degré de réplication virale au sein du compartiment de lymphocytes T présents dans les organes lymphoïdes secondaires dans les zones extra-folliculaires. On peut donc parler d’un phénomène de compartimentalisation du contrôle de l’infection.
Dans ce contexte, quelles nouvelles stratégies thérapeutiques envisager ? Immunothérapie et vaccination doivent avoir pour objectif une génération rapide et intense de lymphocytes T cytotoxiques polyfonctionnels. L’utilisation d’anticorps neutralisants à large spectre – discutée dans mon cours il y a un an – peut représenter une forme d’immunothérapie passive, en cours d’évolution clinique. Les efforts de vaccination préventive ou thérapeutique n’ont pas à ce jour abouti à des résultats tangibles malgré la « sophistication » des protocoles intégrant l’utilisation de plusieurs antigènes, et l’adjonction d’une immunostimulation par cytokine.
Néanmoins, les progrès constants dans la compréhension de la génétique du réservoir viral et des réponses immunes efficaces des controllers devraient permettre de voir ce défi mieux relever au cours des prochaines années.