Résumé
Pour comprendre le célèbre « Heureux Événement » (Vak’a-i Hayriye) des 15 et 16 juin 1826, il faut se rappeler les antécédents de cette crise, notamment l’existence dans la politique ottomane de divers groupes ou factions plus ou moins clairement définis. Tout d’abord, un « centre », représenté par le sultan, le palais et le gouvernement – généralement appelé la Sublime Porte – qui, nominalement du moins, règne sur l’Empire. Autour de ce centre se positionnent les trois principaux groupes d’acteurs que l’on pourrait comparer – avec beaucoup de licence – à des partis politiques. Les ulema – pluriel de âlim ou savant – représentent la foi et la loi, normalement sous la coupe du sultan et du palais, mais bénéficiant d’un prestige qui leur permet de s’allier avec d’autres groupes, notamment les janissaires. En effet, la chute d’un sultan, souvent provoquée par une révolte des janissaires, est généralement entérinée par une fetva (opinion légale) émanant du şeyhülislam, premier des ulema de l’Empire.
Un deuxième groupe est constitué des ayan, les notables, notamment ceux qui contrôlent économiquement certaines provinces de l’Empire, en Anatolie et en Roumélie. Depuis sa formation, l’Empire ottoman est tiraillé par la volonté centripète du palais et les velléités centrifuges de la « périphérie ». De fait, il est exclu qu’Istanbul puisse véritablement contrôler de manière efficace les provinces ; la cohésion de l’Empire est sans cesse négociée entre ces deux tendances. Au XVIIIe siècle, la prééminence de certains notables provinciaux, capables de tirer de leur emprise sur le territoire des revenus fiscaux et commerciaux et de lever de véritables armées, devient la règle, amenant ainsi un affaiblissement sensible du pouvoir central. Certains, comme Ali Pacha de Tepelen ou de Janina (1744-1822) ou Mehmed Ali Pacha d’Égypte (1769-1849), parviennent à se constituer en véritables souverains de leur province, tout en maintenant un délicat équilibre avec la Porte.