Le cours de cette année 2010-2011 constituait le troisième volet des « revisites » de Confucius et de ses Entretiens commencées il y a deux ans et dont le point de départ était le phénomène contemporain du retour en force de Confucius après un siècle de démolition systématique de cette figure emblématique et de tout ce qu’elle représentait pour les modernistes chinois. C’est en effet au nom de la modernité, dont le modèle ne pouvait être à leurs yeux qu’occidental, que les intellectuels chinois du début du XXe siècle ont résolu de jeter par-dessus bord Confucius et la culture traditionnelle prise comme un tout. On peut considérer que ce processus de destruction a commencé sur le plan institutionnel en 1905 avec l’abolition du système des examens civils qui rendait désormais obsolète la connaissance approfondie des classiques confucéens, jugée indispensable depuis des siècles pour les serviteurs de l’état impérial qui, de fait, s’effondra définitivement quelques années plus tard, en 1911, laissant place à la toute première république fondée par Sun Yat-Sen. Les dates symboliques que l’histoire du XXe siècle a retenues sont des marqueurs générationnels qui passent par le mouvement du 4 mai 1919, la proclamation de la République populaire en 1949, la Révolution culturelle des années 1966-76 et, enfin, le mouvement étudiant du printemps 1989 écrasé dans le sang le 4 juin. C’est pourtant à l’automne de cette même année, seulement trois mois après le massacre de Tian’anmen et trois mois avant la chute du mur de Berlin, que fut célébré en grande pompe à Pékin le 2 540e anniversaire de la naissance de Confucius. De toute évidence, une réhabilitation aussi soudaine était chargée de contribuer à redonner une légitimité à des dirigeants qui venaient de la perdre aux yeux de la nouvelle génération. Ce retour de Confucius si largement instrumentalisé en Chine continentale a ainsi fait l’objet du premier volet du cours.
Dans un deuxième temps, la perspective a été ouverte sur la fortune de Confucius et de ses Entretiens plus près de nous, en Europe, dans le but de contextualiser nos habitudes de lecture, désormais si profondément ancrées que nous n’en prenons plus conscience. On peut distinguer sommairement deux Confucius qui correspondent à deux grands moments « universalistes » de l’histoire occidentale : tout d’abord, le Confucius hérité des Lumières ; puis, le Confucius issu du monde qui a émergé des deux conflits mondiaux du siècle dernier et qui est souvent qualifié de « post-Lumières ». Le premier moment, qui a fait l’objet du cours de l’an dernier, concerne l’Europe et plus spécifiquement la France où, aux XVIIe-XVIIIe siècles, ceux qu’on appelait alors les « philosophes » se fondaient sur les témoignages des missionnaires jésuites pour inventer un « Confucius, philosophe des Chinois » à l’image des Lumières et pour lire les Entretiens comme un ouvrage philosophique. À peine quelques décennies plus tard, cette première cooptation due à Voltaire, Leibniz et bien d’autres était considérée comme nulle et non avenue par les philosophes professionnels de l’Europe conquérante du XIXe siècle, Hegel en tête. La Chine, exclue d’un espace philosophique reconfiguré, est devenue l’objet spécifique d’une nouvelle discipline du savoir universitaire européen, la sinologie.