Résumé
Cette communication part d’une une palette inédite, qui aurait été trouvée à Bégram en Afghanistan, représentant une image syncrétique d’un Hélios grec et d’un Sūrya indien. À la lumière de cette image, seront réexaminées deux autres palettes dont l’iconographie a été mal interprétée par l’historien de l’art qui les a publiées.
Dans la mythologie grecque, Hélios était un Titan, mais pas un dieu olympien ; cependant, dès le VIe siècle avant notre ère, il apparaît sous de nombreuses formes artistiques. En Asie Centrale, il appartient à l’iconographie monétaire des souverains gréco-bactriens, indo-grecs et indo-scythes. Kaniška I, le plus grand de tous les rois Kuṣāṇs, fait représenter sur ses émissions, parmi de nombreux dieux grecs et iraniens, Hélios avec une légende en grec mais aussi avec Mirro en langue bactrienne, désignant Mithra, l’ancienne divinité solaire iranienne. Presque en même temps, le mithraïsme étant devenu très populaire parmi les Romains, Sol Invictus (« Soleil invincible ») a joué un rôle de premier plan dans les mystères mithriaques. Sous les Sévères, cette variante orientale de Sol (Soleil) occupa une place importante dans la religion impériale. En Inde ancienne, les toutes premières représentations de Sūrya (Āditya), le dieu-soleil, remontent au deuxième siècle av. J.-C. Une des caractéristiques les plus importantes de l’iconographie indienne est la présence d’Uṣā (Aurore) et de Pratyuṣā (Crépuscule), les épouses de Sūrya qui lancent des flèches avec leurs arcs pour faire disparaître des démons nocturnes.
Les trois palettes du Gandhāra sont caractérisées par un syncrétisme de deux cultures : l’une indienne et l’autre hellénistique. Pour le sculpteur indo-grec de ces objets, la lutte entre les femmes de Sūrya et les démons des ténèbres traduit un véritable conflit entre les forces du bien et du mal. Cette iconographie syncrétique de l’Hélios grec, du Mithra iranien et du Sūrya indien a voyagé du Gandhāra à Bāmiyān et au-delà le long des routes de la Soie. Les premières représentations du dieu-soleil en Inde, en Asie centrale et en Chine se déroulent dans un contexte bouddhique. À travers le dieu-soleil, qu’il soit Sūrya ou Mithra, c’est le Bouddha lui-même qui est évoqué, célébré pour sa réalisation capitale visant à dissiper les ténèbres de l’ignorance et à restaurer la conscience humaine. Lorsque le dieu solaire a parcouru la route de la Soie, la similitude entre le Bouddha et le « grand soleil » était très explicite dans le bouddhisme tantrique. Bien qu’Hélios grec, Mithra iranien et Sūrya indien soient originaires de zones géographiques différentes et lointaines, alors qu’ils voyageaient dans l’espace et dans le temps, leurs iconographies à la fois distantes et si proches se sont développées dans des contextes mutuellement fertiles, en incorporant avec habileté les sentiments et les esthétiques de leurs populations respectives tout en créant de nouvelles formes d'art.