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Soulager les effets secondaires des chimiothérapies

Éclairages

Toutes les deux semaines, un sujet d'actualité scientifique éclairé par une chercheuse ou un chercheur du Collège de France.

Nécessaires à la lutte contre les cancers, les chimiothérapies provoquent de nombreux effets secondaires. L’un d’eux, les neuropathies périphériques, se caractérise par des douleurs aiguës dans l’extrémité des membres. Cependant, l’étude de l’interaction entre les systèmes neurologiques et vasculaires permettrait de les atténuer et d’ouvrir la voie à de nouvelles approches médicales.
Rencontre avec Isabelle Brunet*, chercheuse en biologie au Collège de France.

L’oxaliplatine est une chimiothérapie majoritairement utilisée dans la lutte contre les cancers digestifs. Chez près de 80 % des patients, ce traitement entraîne une neuropathie périphérique aiguë, à l’origine de douleurs importantes au niveau des mains et des pieds. Cette pathologie touche le système nerveux périphérique qui innerve les organes et les membres, provoquant des fourmillements et des sensations de brûlure contre lesquelles aucune solution spécifique n’existe.

Jusqu’alors, les recherches concentraient leurs efforts sur la compréhension du fonctionnement des terminaisons nerveuses. Pourtant, les études récentes montrent que le problème découlerait de l’interaction avec les vaisseaux sanguins qui alimentent les nerfs. Pour la chercheuse Isabelle Brunet, cette relation est cruciale : « Nous voulons comprendre comment les vaisseaux sanguins et les nerfs s’influencent mutuellement, dans des contextes normaux et pathologiques. »

Après avoir longtemps évolué indépendamment, les neurosciences et la biologie cardiovasculaire s’intéressent aujourd’hui à la manière dont les systèmes neurologiques et vasculaires communiquent et à leurs rôles dans les pathologies. Dans le cadre des neuropathies périphériques, cette approche se révèle particulièrement pertinente.

Prévenir les neuropathies

L’étude des neuropathies périphériques chimiquement induites révèle le rôle critique joué par les vaisseaux sanguins dans la survenue de ces douleurs. Contre toute attente, il n’existe pas de lésions des vaisseaux eux-mêmes, mais leur capacité de contraction est perturbée. Isabelle Brunet explique : « Nous observons que les vaisseaux sanguins, en réponse à l’oxaliplatine, se contractent plus qu’ils ne devraient, réduisant le flux sanguin vers les nerfs. » Le système nerveux se compose de tissus très exigeants en oxygène et en nutriments apportés par le sang. La baisse de l’afflux sanguin provoqué par la contraction des vaisseaux entraîne mécaniquement une baisse de ces apports.
Cette découverte offre un espoir immense, car les seuls traitements actuellement prescrits pour soulager ces douleurs invalidantes sont des opioïdes suscitant des problèmes de dépendance. Or, la prescription de médicaments pour éviter cette contraction réduit les symptômes de la maladie, et empêche leur apparition.

En dépit de sa nouveauté, cette approche pourrait se rendre rapidement accessible aux patients à l’aide de médicaments génériques déjà sur le marché. Pour la chercheuse, il reste cependant à s’assurer que ces traitements n’affectent pas l’efficacité des chimiothérapies. Isabelle Brunet collabore avec des oncologues et neurologues pour tester cette hypothèse : « Nous devons prouver que ces médicaments, tout en préservant les nerfs, n’interfèrent pas avec l’efficacité de la chimiothérapie. »

Une recherche transdisciplinaire

Les pistes soulevées par ces recherches ne se limitent pas aux neuropathies périphériques. Elles ouvrent la voie à une meilleure compréhension de nombreuses pathologies neurologiques et vasculaires. Dans des maladies comme Alzheimer, ou encore dans les œdèmes cérébraux, cette interface pourrait révéler des mécanismes encore insoupçonnés. La chercheuse souligne : « Nous avons décidé de nous concentrer sur des pathologies où il existe une impasse thérapeutique. » Le défi pour l’avenir réside dans l’exploration de cette vascularisation nerveuse et de son rôle dans diverses pathologies plus communes, comme le syndrome du canal carpien. Ces pathologies, bien que parfois moins graves, touchent un grand nombre de personnes et entraînent des douleurs chroniques souvent mal prises en charge. La chercheuse aspire à développer des solutions innovantes grâce à une meilleure connaissance des mécanismes en jeu.

Pour atteindre cet objectif ambitieux, Isabelle Brunet et son équipe ont lancé un projet européen. Cette initiative vise à étudier la plasticité des vaisseaux nerveux et leur capacité à protéger les nerfs contre les contraintes mécaniques et pathologiques. Face aux tensions constantes auxquelles les nerfs sont soumis dans le corps, « comprendre comment les vaisseaux sanguins les soutiennent pourrait révolutionner leur prise en charge, non seulement dans des cas sévères, mais aussi dans des troubles plus courants, mais tout aussi invalidants », explique-t-elle.

L’étude de l’interface entre le système nerveux et le système vasculaire ne se contente pas de résoudre un problème médical, elle offre un espoir tangible à des milliers de patients souffrant de neuropathies périphériques et d’autres pathologies douloureuses.

*Isabelle Brunet est responsable de l’équipe Contrôle moléculaire du développement neuro-vasculaire du Centre interdisciplinaire de recherche en biologie (CIRB) du Collège de France.