Ces résultats sont particulièrement importants au regard de la remontée actuelle du niveau des mers qui est une des manifestations les plus préoccupantes du réchauffement climatique. Depuis le début du xxe siècle, les enregistrements marégraphiques suggèrent une hausse du niveau de la mer de 1,5 à 2 mm/an. Plus récemment, les observations des satellites altimétriques indiquent une hausse moyenne globale de 3,3 mm/an sur les deux dernières décennies. Cette augmentation est attribuée au réchauffement global de la planète depuis un siècle. Si l’estimation de leurs contributions respectives fait encore l’objet de recherches actives, il est établi que l’expansion thermique des océans et la fonte des calottes polaires, Groenland et Antarctique, et des glaciers de montagne en sont les causes majeures.
Les compilations du dernier rapport du GIEC (2007) indiquent que la remontée du niveau marin à l’horizon 2100 devrait se situer entre 20 à 60 cm, selon les différents scénarios des émissions de gaz à effet de serre. Néanmoins, comme le précise ce rapport, les modèles climatiques utilisés jusqu’en 2007 ne simulent pas de façon réaliste la dynamique des calottes polaires en réponse au réchauffement mondial. Les projections du GIEC de 2007, ne sont donc considérées que comme des limites inférieures de la remontée du niveau marin. Les simulations les plus récentes s’appuyant sur des modèles statistiques semi-empiriques suggèrent une remontée du niveau marin comprise entre 60 et 180 cm à l’année 2100. Comme on le voit, l’enjeu est de taille puisque environ 3,2 milliards de personnes, soit la moitié de population mondiale, habitent sur une côte ou à moins de 200 km d’un littoral et un dixième de la population vit aujourd’hui à moins de 10 mètres au dessus du niveau de la mer.
Une façon d’appréhender la dynamique des calottes de glaces et donc d’améliorer la modélisation et la prévision des variations futures du niveau marin est de s’appuyer sur des archives géologiques qui ont enregistré les variations passées du niveau marin. À ce titre, les carottes forées dans les récifs coralliens comme Tahiti et la Barbade fournissent des indications particulièrement précieuses sur ces variations et donc sur le comportement des calottes de glace par le passé. Des enregistrements obtenus à l’aide de ces archives ont ainsi pu mettre en évidence des remontées extrêmement rapides du niveau de la mer par le passé, en particulier lors de la dernière déglaciation. Au cours de cette période qui a vu le niveau marin passer de la cote -120/130 mètres depuis le dernier maximum glaciaire, soit il y a 21 000 ans, au niveau actuel, la remontée du niveau marin n’a pas été constante mais a été ponctuée par des accélérations rapides du niveau marin associées à des débâcles massives des calottes de glace. La plus importante de ces accélérations que les paléoclimatologues nomment Melt-Water Pulse 1A (MWP-1A) restait par bien des aspects énigmatique (Bard et al., Nature 1990). En s’appuyant sur des coraux prélevés dans le cadre d’une expédition internationale au large de Tahiti, les résultats publiés dans la revue Nature (Deschamps et al., 2012) lèvent le voile sur cet événement climatique, sans aucun doute un des plus marquants des derniers 20 000 ans.
Les coraux de Tahiti, marqueurs des variations du niveau de la mer
Les coraux dits hermatypiques sont des organismes qui vivent exclusivement dans les eaux tropicales. Très sensibles à la luminosité et la température, ils croissent à fleur d’eau, dans un intervalle de profondeur très restreint, ce qui en fait de bons marqueurs du niveau de la mer. C’est pourquoi l’étude des coraux fossiles qui se sont formés au cours des dernières centaines de milliers d’années permet de reconstituer les variations du niveau de la mer et les changements environnementaux au cours du temps. La caractéristique des coraux qui en font un matériel de choix pour les paléoclimatologues est de pouvoir être datés avec une excellente précision par la méthode Uranium-Thorium, méthode qui s’appuie sur la désintégration radioactive de l’uranium naturel présent dans le squelette des coraux. À titre d’exemple, la précision des datations obtenues au CEREGE dans le cadre de ce projet est de l’ordre d’une trentaine d’années pour des échantillons vieux de 15 000 ans.