La pandémie de Covid19 n’est sans doute pas d’origine climatique, même si nous n’avons pas encore de certitude sur les éventuels changements environnementaux qui auraient pu rapprocher les populations des animaux hôtes (chauve-souris et pangolin) de l’homme. Néanmoins, l’épidémie en cours donne à réfléchir aux climatologues, car elle préfigure en accéléré la propagation du réchauffement mondial prévu pour les prochaines décennies. La crise provoquée par le coronavirus constitue en quelque sorte une répétition générale, un crash test, pour les sociétés humaines.
Bien évidemment, la vague climatique s’inscrit dans une durée plus longue que celle du Covid19, mais on constate les mêmes réactions individuelles et collectives face au risque et à l’adversité, avec des réflexes d’incrédulité, de sidération ou de panique. Au début des crises, certains émettent des doutes sur l’importance du problème en remettant en question la parole des experts scientifiques sur des sujets hautement complexes. Les tâtonnements et joutes scientifiques ajoutent à la confusion dans l’esprit des populations et des décideurs, et alimentent de leurs débordements la blogosphère et les réseaux sociaux.
Pour les deux types de crises, on assiste aussi à une remise en question des prévisions fondées sur des modèles mathématiques qui sont pourtant le meilleur moyen pour se projeter quantitativement dans le futur. Les plus extrêmes profitent de l’occasion pour propager des thèses complotistes à la recherche de boucs émissaires.
Un impact maximal sur les plus pauvres
Au-delà de ces caricatures, les crises épidémiques et climatiques montrent des similitudes bien réelles et malheureuses pour les populations humaines. La crise sanitaire que nous traversons aura un impact plus fort sur les plus pauvres à l’échelle internationale, ainsi qu’au sein de la population d’un même pays. Même si la propagation en Afrique est en retard par rapport à celle des autres continents, on voit s’esquisser un drame humain pour ceux qui n’ont pas les moyens de se protéger et de se soigner. D’aucuns s’inquiètent de la persistance du virus dans certaines régions, constituant des réservoirs permanents prêts à alimenter des poussées épidémiques.
Un impact maximal sur les populations pauvres s’observe aussi pour le changement climatique. L’évolution récente des précipitations est beaucoup plus contrastée à l’échelle régionale que celle des températures, et les modèles climatiques prévoient un creusement des contrastes régionaux de précipitations. Le réchauffement et la baisse de la ressource en eau (incluant l’eau « virtuelle » liée aux importations de nourriture) auront un effet catastrophique sur les nations les plus déshéritées, souvent tributaires d’une agriculture précaire pour nourrir des populations sensibles à toute perturbation supplémentaire, comme les épidémies.
La crise relative au Covid19 et le changement climatique démontrent clairement l’amplification des impacts régionaux par les déplacements humains et la mondialisation des échanges. Une double illustration est même fournie par les liens entre le climat et les épidémies du passé. Par exemple, des recherches récentes montrent que la contamination par la peste est modulée par le climat en Asie centrale, qui affecte les populations de grandes gerbilles et de puces, vecteurs de la bactérie Yersinia pestis.
Une grande épidémie, arrivée d’Inde au milieu du VIe siècle, se propagea à tout l’Empire romain, en raison de l’intensité de ses échanges commerciaux. Cette peste dite « de Justinien », du nom de l’empereur de l’époque, sera suivie d’une quinzaine d’autres résurgences de la maladie, jusqu’au VIIIe siècle. Ces épidémies se sont superposées à des impacts plus directs de la dégradation climatique appelée le « petit âge glaciaire de l’Antiquité tardive » [de la fin du IIIe siècle au début du VIIIe siècle], qui a suivi l’optimum climatique romain [du III siècle av. J.C. au IIIe siècle de notre ère]. Même s’il faut éviter tout déterminisme simplificateur, il apparaît que ces désordres ont ajouté leurs impacts à d’autres troubles sociétaux d’un Empire romain déclinant.
La peste noire de 1347 et les réintroductions multiples de la bactérie Yersinia pestis qui ont suivi auraient aussi un déterminisme climatique en Asie centrale, lié à la période du petit âge glaciaire, datée communément entre les XIIIe et XIXe siècles. Plus près de notre époque, on sait que l’épidémie de choléra qui a commencé en 1816 dans le delta du Bengale est liée à l’impact de l’éruption du volcan Tambora, en 1815 [sur l’île de Sumbawa, en Indonésie]. Cette éruption très explosive a engendré des aérosols soufrés qui ont été disséminés pendant quelques années dans la stratosphère, entraînant un refroidissement général de la basse atmosphère, particulièrement marqué pendant « l’année sans été » qui a suivi. Une forte baisse de la mousson asiatique a entraîné une famine liée à de mauvaises récoltes. L’épidémie de choléra, circonscrite à une zone limitée mais très peuplée, s’est ensuite propagée à d’autres régions, par les échanges commerciaux d’une mondialisation naissante. D’autres foyers de récurrence du choléra auront lieu au XIXe siècle dans une véritable pandémie affectant tous les continents, depuis l’Asie jusqu’à l’Amérique en passant par l’Europe.
Le coronavirus et le réchauffement mondial illustrent bien l’absolue nécessité de la concertation internationale et de la coopération pour une entraide médicale et économique, ainsi que pour trouver des solutions pérennes, vaccins et traitements curatifs, baisses des émissions de CO2 et transition vers une économie durable. Si nous ne le faisons pas, nous serons tous perdants à plus ou moins long terme, même si certains pays seront moins touchés que d’autres de façon transitoire. Les économies nationales ne peuvent pas « se confiner » vis-à-vis d’un marasme généralisé à l’ensemble de la planète ni s’isoler
des effets du changement climatique.
Méditer les leçons de l’histoire
L’histoire du climat et des sociétés humaines inclut encore d’autres leçons que nous devrions méditer. De grandes civilisations du passé, sophistiquées et hiérarchisées, comme les Mayas, la civilisation de la vallée de l’Indus, l’empire d’Akkad, en Mésopotamie, la Chine impériale ou le royaume khmer, ont été gravement touchées par des variations climatiques. Les troubles ainsi créés ont souvent été amplifiés par les réactions humaines, allant jusqu’à des conflits guerriers ou l’abandon des centres urbains, politiques et religieux.
On pourrait espérer que nos sociétés actuelles soient plus sages. Nos savoirs scientifiques et techniques sont sans commune mesure avec ceux de ces anciennes civilisations. Néanmoins, les troubles précédents restaient confinés aux régions touchées par un changement climatique naturel, souvent amplifié localement. Dans le cas du réchauffement actuel, il s’agit d’un forçage climatique à l’échelle mondiale, principalement causé par l’augmentation de l’effet de serre du CO2 anthropique. Un renforcement du problème provient de la connectivité des sociétés humaines qui s’est accrue au cours de l’histoire, atteignant aujourd’hui son apogée avec des ordres de Bourse internationaux donnés en quelques fractions de seconde. La crise actuelle montre que nos sociétés modernes ne sont probablement pas plus raisonnables que les précédentes. Au-delà d’une concertation de façade, chaque pays adopte ses solutions égoïstes avec des stratégies différentes, fondées sur un compromis entre la sauvegarde de son économie de marché et la préservation de la santé et de son environnement. À cet égard, les difficultés et l’endettement chronique des pays pauvres constituent une bombe à retardement de ces problèmes mondiaux.
Au minimum, on devrait attendre des pays industrialisés une collaboration pour échanger l’information sur l’étendue des problèmes et sur les solutions technologiques permettant de les réparer ou de les contrer. Au lieu de cela, on assiste à des surenchères entre pays au sujet des chiffres et des avancées scientifiques.
L’unilatéralisme paraît avoir encore de beaux jours devant lui, alors qu’il faudrait chercher des solutions à l’échelle mondiale et renforcer le rôle des organismes de coordination supranationale. La critique des institutions internationales est facile, car celles-ci n’ont souvent que très peu de financements en comparaison des structures étatiques, et n’ont aucun moyen de coercition pour faire respecter le droit ou les engagements nationaux. On ne peut donc s’étonner des nombreuses attaques contre le multilatéralisme, comme la sortie, en 2017, des Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat, né de la conférence de l’ONU sur les changements climatiques (COP21), et la décision récente de Donald Trump de désengager financièrement son pays de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), agence dépendant également des Nations unies. Casser le thermomètre n’est une solution ni pour le réchauffement ni pour les pandémies actuelles et futures.