Si, dans l’histoire de l’art lyrique, le statut du livret n’est jamais allé complètement de soi, la « crise de l’opéra » déclenchée voici maintenant plus d’un demi-siècle s’est traduite par une remise en cause radicale du rapport entre musique et texte, dont l’onde de choc se fait encore sentir aujourd’hui. Le livret, longtemps perçu comme le siège de toutes les conventions du genre, est devenu un objet problématique, qu’on a volontiers voulu congédier, seulement pour le voir réapparaître sous des formes nouvelles. Un parti-pris antinarratif a paru quelque temps devenir la nouvelle norme, sans toutefois s’imposer comme une manière stable de mettre le spectateur face à la représentation d’un monde affectif, social ou politique.
L’opéra contemporain ou, si l’on préfère, le théâtre musical d’aujourd’hui – mais cette distinction est en soi un enjeu théorique –, se trouve ainsi confronté en permanence aux questions du récit et du personnage, à celles de la dramaturgie, des arts visuels et du multimédia. Faute d’une routine qui aurait remplacé l’ancien pacte institutionnel noué entre les différents spécialistes du son, de la parole et de l’image, il est courant que la manière d’articuler toutes ces dimensions fasse partie du projet d’un compositeur au même titre que l’écriture musicale elle-même, qu’il travaille seul, d’ailleurs, ou avec un librettiste et/ou un metteur en scène.
La trajectoire de Pascal Dusapin est à cet égard des plus riches, de Roméo & Juliette (1989), écrit avec l’écrivain Olivier Cadiot, à Faustus – The Last Night (2006), où il signe lui-même un livret basé sur le texte de Christopher Marlowe. Chacun de ses cinq opéras créés à ce jour emprunte une voie dramaturgique différente, tout en restant fidèle au principe de représentation qui, peut-être plus que tout autre, a défini la fonction sociale de l’opéra : le déploiement de l’expérience du tragique au sein d’une temporalité musicale complexe.
À l’occasion de la création parisienne du Faustus de Dusapin le 15 novembre prochain au Théâtre du Châtelet, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, l’École des Hautes Études en Sciences Sociales propose une journée de réflexion sur ces questions, réunissant des compositeurs, des librettistes, des metteurs en scène et des musicologues. La création the Into the Little Hill the George Benjamin, sur un livret de Martin Crimp, le 22 novembre suivant à l’amphithéâtre de l’Opéra Bastille et dans le cadre du même festival, contribue également à l’actualité de cette discussion.
La rencontre s’inscrit dans le cadre d’une collaboration entre l’École des Hautes Études en Sciences Sociales et le Collège de France, où Pascal Dusapin a été nommé cette année titulaire de la chaire de création artistique.