Comment est né l’Institut des Civilisations ?
En 1976, lorsque l’École polytechnique a déménagé de la rue du Cardinal-Lemoine, le Collège de France a pu disposer d’une partie de ses bâtiments pour y installer la bibliothèque Claude Lévi-Strauss et la bibliothèque d’études byzantines. Au début des années 1990, au moment des grands travaux de rénovation du Collège de France sur son site principal et historique, les espaces dévolus aux différentes bibliothèques du Collège de France ont dû être réorganisés : les bibliothèques d’assyriologie, d’égyptologie, et des études bibliques et ouest-sémitiques, notamment, qui étaient auparavant des cabinets de professeurs, ont rejoint la rue du Cardinal-Lemoine. On s’est vite rendu compte qu’il fallait donner une unité scientifique et architecturale à ces bâtiments ; ainsi est né le projet de l’Institut des Civilisations. Il s’est, assez naturellement, structuré en pôles suivant les zones géographiques et les périodes historiques étudiées.
Les travaux de rénovation commencés en 2016 ont été l’occasion de penser une nouvelle cohérence architecturale et intellectuelle de cet institut. En effet, il rassemble la plupart des chaires d’études des civilisations ainsi que de l’anthropologie et les bibliothèques attenantes dans un lieu qui favorise l’interdisciplinarité entre tous ces pôles. L’objectif était de faciliter la circulation des idées et des personnes. C’est à l’aboutissement de cette idée auquel nous assistons cette année.
Le nouvel Institut des Civilisations s’inscrit dans une longue tradition d’étude des civilisations au Collège de France…
L’égyptologie ou l’assyriologie sont, d’une certaine façon, nées au Collège de France qui a accueilli les premières chaires de ces disciplines.
Au sein de l’institut, se sont ainsi installées des chaires autour de l’étude du monde proche-oriental, des mondes asiatiques, de la Méditerranée, de l’Afrique, et puis évidemment de l’anthropologie avec la bibliothèque Claude Lévi-Strauss. Une des forces de notre Institut des Civilisations, c’est qu’il n’est pas eurocentré. Ce qui est important, c’est l’ouverture à la différence. Cette ouverture se fait à la fois dans l’espace et dans le temps. L’Institut des Civilisations étudie à la fois des civilisations anciennes, qui sont nos racines historiques, et des sociétés contemporaines très différentes.
Quel est son rôle au sein du Collège de France ?
Au côté d’autres laboratoires et instituts, la vocation de l’Institut des Civilisations est la même que celle du Collège de France : étudier et enseigner la diversité des disciplines, sans enjeu mercantile. C’est un espace où l’on peut apprendre sur les origines multiples des sociétés humaines, et aussi sur des réalités actuelles. Notre but est d’encourager la curiosité ! La devise Docet Omnia, « Il enseigne tout », résume la liberté du Collège de France. Ce n’est pas simplement la liberté de la recherche, c’est aussi la liberté de ne pas avoir de programme à remplir. On retrouve l’ensemble de ces fondements dans l’Institut des Civilisations.
Quel était l’objet de la rénovation architecturale de l’Institut des Civilisations ?
Cette rénovation était l’occasion de faire le lien entre l’architecture et le projet intellectuel : favoriser la communication entre les chaires, entre les bibliothèques, entre les étudiants et les professeurs. Après une période marquée par des échanges strictement numériques, due à l’épidémie de Covid, l’inauguration de l’Institut des Civilisations est l’occasion d’un retour à des rencontres autour de riches collections et de projets de recherche communs. Pour cela, toute l’organisation architecturale a été pensée pour favoriser ces échanges autour des bibliothèques, de salles de travail comme de zones de convivialité.
L’accueil des différents pôles a été particulièrement soigné avec une dimension à la fois esthétique et symbolique. Tout est fait pour avoir un lieu propice à la réflexion et à la recherche sous toutes ses formes. On y trouve l’exposition d’objets originaux ou de moulages. Par exemple, au pôle Égypte et Proche-Orient anciens, nous avons des moulages de la stèle de Mesha et du Code de Hammurabi, et bientôt de la pierre de Rosette.
Comment s’inscrit l’Institut des Civilisations dans la recherche internationale ?
Les bibliothèques du Collège de France ont un rayonnement international. Leurs collections, constituées avec le temps, sont très réputées. Il n’y a aucun autre endroit en France, et souvent à l’international, pour nos disciplines où l’on puisse avoir un accès à autant de choses : depuis des objets historiques jusqu’aux publications scientifiques les plus anciennes. Par exemple, la bibliothèque d’études chinoises attire beaucoup de chercheurs de Chine, car beaucoup de textes anciens y ont disparu au moment de la révolution culturelle. L’Institut des Civilisations est à même d’accueillir au mieux ces chercheurs, tout autant que les étudiants avancés comme les doctorants.
Des liens forts se créent en fréquentant les bibliothèques. L’idée est de favoriser les échanges entre les professeurs, leurs équipes de recherche et les étudiants. Nous espérons accueillir un public nombreux qui perpétuera la tradition d’ouverture du Collège de France.
Thomas Römer est professeur titulaire de la chaire Milieux bibliques et administrateur du Collège de France.
Dominique Charpin est professeur titulaire de la chaire Civilisation mésopotamienne et directeur de l’Institut des Civilisations.