Fabula-LhT n° 11
Depuis longtemps, j’avais envie de me lancer dans une recherche – un cours, un séminaire : au Collège de France, on expose une recherche en train de se faire – sur une année. Je désirais retracer les événements de cette année-là, mois après mois, semaine après semaine, et même jour après jour, si possible. Je rêvais de pénétrer au cœur d’une année, d’habiter son calendrier, de la revivre à son rythme, sous toutes ses coutures, dans tous ses détours, en passant du coq à l’âne comme dans ces rétrospectives diffusées dans ma jeunesse à la télévision le 31 décembre – « Le général de Gaulle a inauguré l’usine marémotrice de la Rance. Le Premier ministre, Georges Pompidou, a visité l’usine d’enrichissement de l’uranium de Pierrelatte. Le virus de la “copocléphilie” a frappé deux millions de Français » –, mais aussi à la recherche de la forme de l’époque, de l’essence du siècle sous l’écume des jours. Il me faudrait parcourir tous les livres publiés entre le 1er janvier et le 31 décembre – et sans doute aussi tous les livres écrits au cours de ces mois –, fouiller toute la presse – les quotidiens, les hebdomadaires, les magazines, les revues –, écouter la radio, regarder la télévision, voir tous les films, fredonner toutes les rengaines. Je me plongerais dans la vie quotidienne, la publicité, la mode, les gadgets. Ce serait comme vivre un roman, le roman d’une année. [...]