Né le 4 janvier 1914 à Provins, Jean‑Pierre Vernant est orphelin de père, engagé volontaire mort au front en 1915, puis de mère en 1923. En 1931, il suit les traces de son frère aîné et part étudier la philosophie à la Sorbonne (licence en 1934, agrégation en 1937) tout en militant aux Jeunesses communistes, dans un contexte d’affrontements violents et réguliers avec les ligues fascistes. C’est également dans ces années qu’il rencontre Lida Nahimovich, sa future épouse, et se lie d’amitié avec Ignace Meyerson.
Appelé au service militaire en octobre 1937, il est mobilisé pour la « drôle de guerre ». Après l’armistice de juin 1940, il est nommé professeur de philosophie dans un lycée toulousain. Refusant le pacte germano-soviétique, Vernant prend ses distances avec le PCF et entre en résistance, d’abord en éditant des tracts avec son frère, puis en rejoignant, en février 1942, le mouvement Libération. Il devient dirigeant de l’armée secrète de Haute-Garonne quelques mois plus tard. En août 1944, le « colonel Berthier » est à la tête des FFI de Haute-Garonne et libère Toulouse de l’occupant. Il dirige ensuite les opérations dans tout le Sud-Ouest jusqu’à l’automne.
Après la guerre, Vernant enseigne dans un lycée puis entre au CNRS en 1948. Il publie alors ses premiers articles sur la Grèce ancienne. Il devient directeur d’études à l’EPHE en 1958, d’abord à la VIe section, celle des sciences économiques et sociales (devenue l’EHESS en 1975), avant de passer à la Ve section, celle des sciences religieuses en 1968. Il publie son premier livre, Les Origines de la pensée grecque, en 1962. Vernant s’y attache à décrire les conditions d’émergence d’une pensée rationnelle en Grèce ancienne. L’ouvrage, conçu originellement contre le dogme communiste, bouscule également les idées reçues sur le « miracle grec » cher à la majorité des hellénistes d’alors, prompts à défendre l’exceptionnalité de la culture grecque et son rôle supposément fondateur de la culture européenne contemporaine.
C’est avec une poignée de collègues convaincus, au contraire, de l’étrangeté du monde grec et de la nécessité de se déprendre de la notion d’héritage que Vernant fonde en 1964 le Centre de recherches comparées sur les sociétés anciennes. Autour de Vernant, Marcel Detienne, Pierre Vidal‑Naquet et Claude Mossé forment une équipe parfois appelée « l’École de Paris » (bien que les membres du centre récusassent ce terme) qui propose alors une approche tout à fait novatrice, inspirée par la philosophie marxiste et nourrie de la fréquentation d’autres disciplines, en particulier l’économie, la sociologie et l’anthropologie.
Jean‑Pierre Vernant est élu professeur du Collège de France en 1975, avec le soutien de Georges Dumézil, Claude Lévi-Strauss et André Caquot. Un an après Jacqueline de Romilly, c’est donc un autre helléniste qui entre au Collège pour y proposer une étude de la Grèce ancienne d’une manière singulièrement différente à celle de J. de Romilly.
Pendant une dizaine d’années au Collège de France, J.‑P. Vernant a travaillé essentiellement sur des questions religieuses, qui permettaient sans doute plus que tout autre de confronter la documentation grecque à celle d’autres cultures, anciennes ou récentes. Il a ainsi inscrit définitivement les études grecques dans le paysage des sciences sociales. En insistant tout particulièrement sur les fêtes et les rituels, il a également rendu au monde grec antique son originalité et sa part d’étrangeté.