L’exposé d’Yves Sintomer a débuté par une identification des différents usages du tirage au sort à travers l’histoire : pratique divinatoire, partage des héritages et des butins guerriers, puis progressivement sélection des dirigeants politiques. Ce dernier usage, qui s’impose à Athènes, garantit la rotation rapide des tâches en même temps que la collégialité et l’interdiction du cumul des fonctions.
À l’issue de ce tableau historique des usages politiques du tirage au sort, Yves Sintomer s’est demandé quelle signification lui accorder. Il a rejeté l’essentialisme de la thèse aristotélicienne selon laquelle cette pratique serait gage de démocratie parce qu’elle introduirait une logique d’égalité radicale entre citoyens. Il a distingué le tirage comme expression de la volonté divine pour la cité ; le tirage comme méthode impartiale de résolution des conflits ; et enfin le tirage comme garantie du pouvoir de tous sur tout un chacun.
Selon le sociologue, si le tirage au sort a disparu lors du passage à la modernité au motif qu’il conduisait à attribuer le pouvoir de manière arbitraire, c’est parce que l’argument statistique de l’échantillon représentatif, qui en a permis la domestication scientifique, ne pouvait encore être mobilisé dans le débat. Dans son usage contemporain, le tirage au sort, désormais pensé comme moyen de sélectionner un microcosme de la cité, autorise la constitution d’assemblées délibératives de mini-publics, susceptibles d’aider la démocratie représentative à faire de meilleurs choix. Pour Yves Sintomer, c’est la preuve que l’expérience démocratique moderne ne doit pas se réduire à la démocratie représentative ; la légitimité démocratique doit pouvoir s’exprimer par une pluralité de voies.
La discussion a mis en évidence l’utilité du détour intellectuel par la théorie du tirage au sort pour déconstruire la vision moniste de la démocratie électorale et compliquer la notion de légitimité démocratique.