La présentation des deux juristes s’est articulée autour de trois grands moments : la Révolution française, 1848 et 1962. Alors que l’élection du président de la République est aujourd’hui un fait si naturel de la vie politique française, les intervenants ont rappelé qu’elle avait longtemps suscité des résistances fortes au motif, hérité de la pensée révolutionnaire, que le législatif devait exprimer la volonté de la nation, et que l’exécutif devait, lui, se charger de mettre celle-ci en œuvre. Pendant toute la période révolutionnaire, l’exécutif est donc pensé comme assujetti au législatif et les organes exécutifs comme nécessairement collégiaux. 1848 constitue une rupture majeure : l’élection du président au suffrage universel est considérée comme un mécanisme de transmission de la volonté électorale au corps qu’il élit, au lendemain d’un processus d’accroissement constant des compétences des organes exécutifs. L’accord sur la nécessité d’un exécutif fort (c’est-à-dire suffisamment légitime pour s’opposer aux empiètements possibles d’une assemblée unique) l’emporte sur l’objectif d’équilibre des pouvoirs.
Les intervenants ont rappelé que ce n’est qu’au début de la Ve République que le discrédit qui a entaché l’élection du président au suffrage universel après le coup d’état du 2 décembre 1851 est partiellement oublié. Tirant de la IIIe République la conclusion que le régime des partis est une perversion de l’état normal de la société, de Gaulle impose, contre ses opposants politiques, l’idée que cette élection n’est pas une élection ordinaire : elle devient une forme de sacre, l’expression d’une communion avec le peuple. Il est soutenu par l’intervention dans le débat de constitutionnalistes qui trouvent rétrospectivement une justification à cette élection au suffrage universel : le président aurait dans la nouvelle Constitution de tels pouvoirs que leur titulaire devrait être élu au suffrage universel. Mais, pour les intervenants, on se trouve alors dans une situation paradoxale dans laquelle la fonction détermine l’élection et non plus le contraire. En conclusion, A. Le Pillouer et P. Brunet ont déploré que l’élection du président de la République au suffrage universel ait conduit à une lecture présidentialiste de son pouvoir.
La discussion est notamment revenue sur la signification de l’élection (comme autorisation, légitimation, forme sociale) et a rappelé que certains pouvoirs démocratiques pouvaient ne pas être élus sous des conditions de publicité, de reddition de compte, de collégialité... et qu’il convenait donc distinguer institutions démocratiques et élection.