La question de l’origine des Primates a fasciné des générations de biologistes de l’évolution et de paléontologues, en partie parce que les primates diffèrent des autres mammifères de manière fondamentale, et en partie parce que les humains font partie intégrante des primates. Beaucoup des caractères anatomiques qui distinguent les primates des autres mammifères sont liés à un mode de vie arboricole. Ce mode de vie explique pourquoi les primates ont des ongles plutôt que des griffes sur leurs doigts et leurs orteils ; pourquoi ils possèdent des gros orteils opposables, semblables au pouce humain ; pourquoi leurs épaules, coudes, hanches et genoux sont grandement mobiles et leur permettent d’adopter une large gamme de postures dans un environnement tridimensionnel complexe. Les primates diffèrent également des autres mammifères par la nette prédominance de la vue sur l’olfaction. Cette prédominance a pour conséquence des orbites orientées vers l’avant et des champs visuels des deux yeux qui se recoupent largement, autorisant une vision stéréoscopique. Le cerveau des primates est plus important que celui de la plupart des mammifères. Les primates ont des espérances de vie relativement longues et, en général, ne donnent naissance qu’à un ou deux descendants, précoces dans leur développement. Compte tenu des multiples et importantes différences entre les primates et les autres mammifères, il est clair qu’un fossé anatomique et écologique sépare les primates de tous les autres êtres vivants. En conséquence, il y a peu de consensus sur la position des primates sur l’arbre évolutif des mammifères, sur le lieu de leur émergence, ou sur les formes de transition présentes dans le registre fossile.
Cette conférence intègre les données actuelles issues du registre fossile et de la génomique comparative des mammifères qui amènent des avancées majeures dans notre compréhension de l’origine des primates. Des découvertes issues de différents assemblages de plésiadapiformes, groupe de mammifères aujourd’hui éteint dont Plesiadapis tricuspidens du bassin de Paris est le fossile-type, indiquent que ces animaux ne sont pas des « primates archaïques », contrairement à ce qui est souvent indiqué dans les manuels. La spécialisation de leur squelette post-crânien révèle en fait une proche parenté avec les dermoptères d’Asie du Sud-Est. Certains plésiadapiformes semblent partager avec les dermoptères un ancêtre commun plus récent qu’avec d’autres plésiadapiformes, et les plésiadapiformes paromomyidés pouvaient probablement planer comme leurs cousins actuels. Bien qu’il faille désormais considérer les plésiadapiformes comme des « dermoptères archaïques », leur anatomie aide à combler le vide entre les dermoptères et les primates actuels. Ces deux lignées de mammifères, toutes deux très arboricoles, semblent être des groupes-frères collectivement compris dans le taxon Primatomorpha. Les premiers primatomorphes différent des scandentiens et des autres mammifères par une série d’adaptations post-crâniennes à l’exploitation des riches ressources alimentaires localisées sur les troncs verticaux. Les premiers primatomorphes avaient également développé un système neural élaboré reliant les yeux au cerveau moyen, indiquant une vision stéréoscopique précoce. Ainsi, les premiers primatomorphes vivaient déjà pleinement dans les arbres, et cette tendance adaptative est restée marquée dans une vaste majorité des primates et dermoptères actuels.
Les découvertes paléontologiques et anatomiques suggérant que les dermoptères sont les plus proches parents des primates ont été confirmées par les progrès des recherches sur un groupe de réarrangements génomiques (les indels exoniques) rares communs aux deux groupes. Puisque les dermoptères ne sont connus qu’en Asie du Sud-Est, il est plus parcimonieux de considérer une origine des primates sur ce continent plutôt qu’en Afrique.