Texte extrait de La Lettre du Collège de France n° 34, Paris, Collège de France, p. 26, ISSN 1628-2329
Le feu a joué un rôle fondamental dans la tradition rituelle avestique et l'importance de sa centralité dans la liturgie ancienne est indiscutable.
Cependant, il conviendrait de clarifier le rôle du feu dans les sources vieil-avestiques à partir d'une analyse comparative. Surtout, il est important de faire ressortir une série d'évidences étonnantes qui ne sont jamais soulignées comme il le faudrait :
1) Les Γāθāσ ne comptent que huit attestations du nom du « feu » (ātar-, m.), auxquelles nous ajoutons les quatre attestations du ch. 36 du Yasna Ηαπταŋηāιτι (= YH). En proportion, le YH (Y 36.1-3) a dédié une plus grande importance au feu que les cinq Γāθāσ réunies.
2) Le feu n'est jamais appelé « fils d'Ahura Μαζδā », désignation exclusivement récente. Cependant, il est vrai qu'il est plusieurs fois appelé « ton » avec référence à Ahura Μαζδā, détermination qui pourrait être considérée comme une allusion à la paternité de Μαζδā.
3) Le nom du feu n'est attesté qu'au singulier.
Certaines autres caractéristiques du feu méritent une attention plus particulière. Le Y 34.4 atteste une référence ambivalente au feu, dans sa double qualité d'être « d'une faveur remarquable » pour le secourable, mais « d'une malveillance visible » pour l'hostile. La mention du caractère violent, brûlant, du feu est importante, puisque Ahura Μαζδā lui-même, peut être « mauvais » contre celui qui s'oppose à sa volonté. De plus, le feu est qualifié par θβa- « ton » à cinq reprises, c'est-à-dire qu'il appartient à Ahura Μαζδā, et au Y 34.4 nous trouvons tōi ātrə̄m. Cette appartenance se retrouve au Y 31.3 de manière indiscutable, mais également dans le YH où le feu est « d'Ahura Μαζδā ». Cette relation démontre que le feu du rituel est d'Ahura Μαζδā. Je ne crois pas que l'on puisse faire une distinction entre le feu divin et le feu matériel. À travers le rituel, le monde d'Ahura Μαζδā et de son collège d'assistants se matérialise dans la liturgie. Par ailleurs, dans la liturgie récente, le collège de sept assistants, avec le zaotar-, correspondait fonctionnellement à celui d'Ahura Μαζδā avec ses Αμəṣ̌ασ Σπəṇτασ.
L'analyse des attestations du feu a permis de mettre en avant un point important : la consécration du feu. Narten avait interprété le début du Y 36.3 comme la formule officielle de consécration du feu. C'est une solution plausible, mais il faut s'accorder sur le signifié que nous attribuons à cette consécration. Dans le Yasna qui nous est parvenu, le feu avait déjà été consacré, ou était déjà prêt pour être utilisé pendant le sacrifice. Deux points m'amènent à penser cela : d'une part, le rituel du Yasna, dans sa forme solennelle, ne comportait aucune interruption, et d'autre part, le feu n'était jamais allumé immédiatement avant le rituel, mais il était et restait en permanence allumé, inépuisé et inépuisable. Malheureusement, une description du rituel ancien pratiqué avant la disposition des Γāθāσ et du YH au centre du Yasna ne peut être établie de manière définitive. Si nous supposons que le Y 34 annonçait un acte sacrificiel très important et que le Y 36 confirmait l'efficacité de l'immolation qui avait été déjà faite, cette séquence démontre que le feu avait déjà été consacré au moment de la récitation du Y 34. En effet, on ne peut pas faire une immolation en présence d'un feu non consacré. Kellens a bien démontré qu'on peut vraisemblablement constater au Y 58 la fin de la crémation de l'offrande, déposée dans le feu au Y 36. Cette reconstruction n'empêche pas de considérer que la combustion de l'offrande carnée soit forcément en opposition à une sorte d'intériorisation du sacrifice. Cuire la viande sacrificielle n'est pas seulement un acte matériel mais également une action sacrée, réalisée par le feu, dans un contexte spéculatif. Cependant, une chose est certaine : les Γāθāσ et le YH ont été placés dans une position de centralité, privée d'actions rituelles à l'exception de la combustion de l'offrande. Il faudra encore réfléchir à ce sujet.