Résumé
On se figure souvent Claude Bernard comme l’inventeur d’une méthode, une sorte de Descartes de la biologie. Quelle erreur et quel ennui ! À l’opposé de cette image scolaire, Claude Bernard est entré en physiologie à travers une observation accidentelle dont il inféra que, loin d’être une combustion chimique directe, la nutrition est un processus métabolique poursuivi à « douce température » grâce à l’activité de diastases, on dit aujourd’hui enzymes. Les métabolites ainsi produits et mis en réserve – la fameuse fonction glycogénique du foie – sont libérés dans le milieu intérieur et participent au maintien de ses constantes physiologiques. Mais cette nutrition n’est pas seulement organique, elle est aussi « organogénique » contribuant, par-delà le renouvellement des seules molécules, à celui des organes, fonction illustrée par le terme « d’embryogenèse silencieuse ». Nous discuterons comment, sur la base de ces travaux, Claude Bernard révolutionne la physiologie en répudiant une vision essentiellement physicaliste du vivant. En écho – relisons Georges Canguilhem – avec la rupture parallèle opérée par Charles Darwin dans le domaine de l’évolutionnisme. Là encore, c’est de milieu qu’il s’agit.