Cette sixième année de cours a été consacrée à un personnage dont le rôle apparaît comme essentiel dans le développement historique de ce phénomène que nous poursuivons sans relâche dans notre enquête philologique et que nous avons appelé « hiéroglossie ». Jien est loin d’être un inconnu pour ceux qui ont suivi ces cours depuis le début. Nous avons presque chaque année fait appel à lui pour éclairer, par la lecture de ses poèmes ou de ses écrits sur la langue japonaise, tel point d’importance.
Si nous avons fait de lui une sorte de référence constante dans notre enquête, l’aune à laquelle nous confrontons les écrits de l’âge classique japonais, c’est en raison de la triple conjoncture unique qu’il représente dans la culture japonaise : ainsi que le titre du cours le rappelle, il fut un très grand moine, un prélat qui accéda aux charges hiératiques les plus élevées de son âge. Il fut aussi un très grand poète ; bien que la postérité l’ait mis au second plan, au regard des poètes illustres de son époque, qui voit se clore l’âge d’or de Heian avec des noms aussi prestigieux que Saigyô, Shunzei et Teika, il reste malgré tout presque invariablement le quatrième cité après cette trinité. S’il est possible de le considérer comme le dernier poète de Heian, il fut aussi le premier penseur de l’époque de Kamakura grâce à son œuvre de réflexion sur l’histoire. De plus, les trois facettes de son œuvre, celle du moine, du poète et du penseur-historien, sont réunies par sa préoccupation constante de la langue qu’il employait. Il fut sans doute l’un des premiers à exprimer au Japon une réflexion prolongée sur les rapports langagiers entre les trois niveaux de la hiéroglossie japonaise : la source chinoise, son reflet japonais, et le tiers médiateur : la langue de l’Inde, la langue brahmique (bongo), qui lui servira d’appui pour élever la langue de l’archipel au niveau de la langue du continent.
On peut dire en cela, au risque de simplifier quelque peu près de quatre siècles d’histoire de la pensée japonaise, qu’il a mené au niveau de la langue de son pays la réflexion qu’avait élaborée Kûkai (774-835) à partir de la langue brahmique comme expression des archétypes métaphysiques du plan de Loi (hokkai = dharmadhâtu), réflexion admirablement synthétisée dans ses Notes sur la réalité des phonèmes et des graphèmes (Shôji-jissô-gi ; nous adoptons ici cette traduction du titre) que nous avons étudiées en 2013-2014.