L’intérêt de la philosophie contemporaine pour la fiction va bien au-delà de l’esthétique et des sous-disciplines philosophiques qui prennent l’art pour objet. La fiction nous parle de choses (ou de personnes) qui n’existent pas. Comment cela est-il possible ? Le fait d’en parler ou d’y penser ne confère-t-il pas à ces choses ou à ces personnes une existence minimale ? Puisque Superman est, comme chacun sait, doté de super-pouvoirs et qu’il peut voler dans les airs, ne s’ensuit-il pas (en vertu de la règle logique dite de « généralisation existentielle ») qu’il y a un individu qui peut voler dans les airs ? Mais que signifie ce « il y a », étant donné que Superman n’existe pas ? Ces questions, présentes depuis l’origine de la philosophie, mobilisent les logiciens, les philosophes du langage et les métaphysiciens.
Beaucoup, depuis les travaux pionniers de Kendall Walton, voient la fiction comme une forme de simulation en continuité avec les jeux de faire-semblant des enfants. Lorsque l’acteur jouant le rôle de Hamlet emploie le nom propre « Horatio », il fait comme s’il y avait un individu nommé « Horatio » auquel il (ou, plus exactement, le personnage qu’il incarne) faisait référence en employant ce nom. De la même façon, Flaubert, lorsqu’il emploie le nom « Emma Bovary », fait comme s’il y avait, portant ce nom, une personne réelle dont le récit rapporte les faits et gestes. Ceux qui lisent le récit font de même – ils exercent leur imagination. Cette conception offre l’avantage d’être en prise directe avec les recherches des psychologues et des philosophes de l’esprit autour de ce qu’on appelle la théorie de la simulation.
Les psychologues postulent une faculté spécifique qu’ils appellent « théorie de l’esprit » et qui nous permet notamment de nous représenter les états mentaux d’autrui (leurs intentions, leurs désirs et leurs croyances) et d’interpréter leur comportement à la lumière de ces états mentaux supposés. Parmi les théories mises en avant pour analyser cette faculté spécifique, la théorie dite de la simulation la fait reposer sur une aptitude plus fondamentale à se décentrer et à se projeter dans une situation imaginaire. Or c’est dans la pratique de la fiction que cette aptitude fondamentale à la simulation se manifeste de façon paradigmatique.