Au cours de ce quatrième cours, nous avons étudié les nanotubes de carbone, en analysant leurs structures, leur histoire scientifique, leurs modes d’élaboration, la chimie qui leur est associée, leurs processus de purification et de séparation et leurs propriétés physiques. Les nanotubes de carbone (NTC) sont des nanomatériaux qui peuvent être décrits comme résultant de l’enroulement d’un feuillet graphitique (plan de type graphène) sur lui-même. Cet enroulement donne naissance à trois grands types de nanotubes de carbone (chaise, zigzag, hélicoïdal-chiral) dont les propriétés électroniques sont respectivement métalliques (NTC chaise) ou semiconductrices (NTC chiral, NTC zigzag). Les NTC correspondent souvent à des mélanges mais selon les modes de synthèse, l’obtention de nanotubes de carbone monoparois ou multiparois (single-walled carbon nanotubes [SWCNT] ou multi-walled carbon nanotubes [MWCNT]) peut être plus ou moins privilégiée. Les nanotubes de carbone à simple paroi (SWCNT) sont des cylindres creux de carbone avec des diamètres de l’ordre du nanomètre, des longueurs allant de dizaines de nanomètres au centimètre, et ils ont des murs qui font une couche atomique d’épaisseur. Les nanotubes de carbone multiparois (MWCNT) sont formés de quelques dizaines de cylindres concentriques avec un espacement inter-couche régulier périodique de l’ordre de 0,36 nm. Selon le nombre de couches, le diamètre interne des MWCNT diverge de 0,4 nm jusqu’à quelques nanomètres et le diamètre extérieur varie de 2 nm à 30 nm. Les deux extrémités des NTC sont généralement en forme de dôme car fermées et coiffées par des demi-molécules de fullerènes (autre allotrope du carbone dont la structure est celle d’un ballon de football à panneaux hexagonaux et pentagonaux). L’existence des NTC dans des matériaux très anciens a été récemment mise en évidence dans des épées constituées d’aciers de Damas datant de l’Inde ancienne. Cette découverte alimente l’hypothèse selon laquelle ces lames réputées devraient leurs caractéristiques exceptionnelles à la présence de nanotubes de carbone. L’histoire scientifique des NTC (MWCNT) est plus récente. Dès le début des années 1950, de nombreux auteurs ont mentionné la présence de fils ou de tubes de carbone observés par microscopie. Ces observations ont été solidement confirmées entre 1973 et 1976. Cependant, ce domaine de recherche n’a quantitativement débuté qu’en 1991 avec la publication dans Nature du Japonais Sumio Iijima. C’est sans aucun doute l’effet combiné de la publication d’un bon article dans un grand journal multidisciplinaire, d’un sujet qui entrait en résonance avec la découverte des fullerènes et une certaine maturité, ou un certain intérêt, de la société pour les nanotechnologies qui a généré le raz-de-marée scientifique et technologique associé au NTC. Le cas des NTC est cependant plus compliqué qu’il n’y paraît car ce ne sont pas des molécules bien définies. Les NTC ont des structures, des masses, des dimensions différentes et, par conséquent, des propriétés différentes. D’autres part, leur polydispersité conduit également à des propriétés non uniformes et difficilement prévisibles. La fabrication de matériaux homogènes nécessite le contrôle non seulement des blocs de construction individuels mais aussi de l’architecture au niveau supérieur auquel les motifs élémentaires s’assemblent. En raison de ces complications, la fabrication de structures macroscopiques fonctionnelles pouvant pleinement utiliser les propriétés exceptionnelles des NTC individuels a été difficile. En effet, la plupart des développements technologiques nécessitent des performances prévisibles et uniformes, et par conséquent un grand nombre des stratégies de recherche ont été centrées sur la chimie afin de préparer, en particulier, des SWCNT avec des diamètres, longueurs, chiralités et propriétés électroniques parfaitement définis. Afin d’étudier leurs propriétés et de les incorporer dans des dispositifs ou dans des matériaux, il est donc très important de séparer, sélectionner et classer les différents types de NTC. Nous avons dans un premier temps exploré les deux voies principales de synthèse des NTC, en commençant par les voies qui utilisent des hautes températures telles que l’évaporation du graphite (T> 3 200 °C), les synthèses par arc électrique (T> 1 700 °C) ou par ablation laser (T> 1 200 °C), puis en finissant par les méthodes qui utilisent des températures intermédiaires (T = 600-900 °C) telles que l’électrolyse en sels fondus et le dépôt chimique en phase vapeur assistée par plasma (PA-CVD).
Cette dernière méthode, en présence de catalyseurs sélectionnés, permet d’obtenir des taux de 96 % en SWCNT dont plus de 90 % sont semi-conducteurs. Ces méthodes sont très prometteuses mais encore coûteuses, relativement lentes et, malgré tout, elles ne permettent pas encore d’obtenir un système totalement pur. L’analyse des systèmes obtenus étant une étape primordiale dans tout développement, nous avons, dans un second temps, brièvement analysé les différentes méthodes permettant de déterminer la structure et le degré de dispersion des NTC. Elles comprennent les microscopies à effet tunnel et électronique, les spectroscopies (par exemple, absorbance optique, photoluminescence et Raman) et des mesures électriques. Parmi celles-ci, la spectroscopie Raman permet de faire une première analyse rapide et fiable des systèmes à base de NTC. Nous avons ensuite décrit les différents modes de fonctionnalisation des NTC. Les postmodifications chimiques des nanotubes de carbones peuvent s’effectuer à l’extérieur ou à l’intérieur, selon des modes de fonctionnalisation covalents ou non covalents. Elles peuvent être classées en trois catégories :
– des greffages covalents sur les parois latérales, sur des sites défectueux ou sur les extrémités ouvertes ;
– l’adsorption de tensioactifs, l’encapsulation ou l’enrobage non covalent du NTC par un polymère hydrosoluble en utilisant par exemple des interactions non covalentes ;
– l’insertion de motifs moléculaires à l’intérieur des SWNT.
Ces fonctionnalisations exo- ou endohédrales ou le greffage de fonctions externes permettent aussi de moduler les propriétés physiques et chimiques des NTC. Ces dernières années, des progrès notables ont été réalisés pour atteindre une production à grande échelle et économiquement acceptable des SWNT monodisperses. En l’absence d’une percée vraiment révolutionnaire, il semble que la solution optimale aujourd’hui soit d’associer les techniques de croissance sélective mentionnées plus haut et des méthodes astucieuses de tri postsynthétiques. Les méthodes de purifications et de tri sont essentiellement fondées sur la dissolution des NTC en présence d’additifs adsorbés (essentiellement de molécules tensioactives ou des polymères), suivis de lavages puis de filtrations. La séparation des différents types de NTC, en particulier les SWCNT, se fait soit par des techniques chromatographiques (exclusion de taille, échanges d’ions, perméation de gel) ou d’électrophorèse (sur gel, capillaire) sous un courant continu ou alternatif, soit par ultracentrifugation en utilisant un gradient de densité ou un champ faible. Dans la dernière partie de cette leçon, nous avons présenté une sélection d’exemples illustrant les nombreuses propriétés remarquables des SWNT. Les NTC ont une très haute résistance à la traction, une grande flexibilité et élasticité, ils sont légers (densités : NTC 1,35 ; acier 7,8 ; aluminium 2,7 ; kevlar 1,45), possèdent un faible coefficient de dilatation thermique et des conductivités électronique et thermique élevées, et se caractérisent par une anisotropie très élevée. Ces propriétés ont inspiré une vaste gamme d’applications telles que les transistors à effet de champ, les portes logiques, les nano-interconnexions électriques, les mémoires, les films conducteurs, les sources d’émission de champ, les émetteurs infrarouges, les capteurs, les sondes de microscopie à balayage, les dispositifs nanomécaniques, les renforts mécaniques, les éléments de stockage d’hydrogène et les supports catalytiques. En particulier, les CNT ont été utilisés dans les technologies des écrans plats, en tant que source d’émission d’électrons qui viennent frapper des luminophores à trois couleurs pour produire une image couleur. Ils sont aussi utilisés « purs » ou sous la forme de nanocomposites à base de polymères. On trouve les NTC dans de nombreux articles de sports, mais aussi dans les coques de bateaux, les blindages électromagnétiques, les batteries, les cellules solaires, les supercondensateurs, les filtres à eau, etc.
Pour l’anecdote, l’engin spatial JUNO utilise un blindage en NTC contre les décharges électrostatiques. Une application susceptible d’être mise en œuvre à court terme et à plus grande échelle est l’utilisation de nanotubes de carbone comme charges pour contrôler les propriétés électriques des systèmes polymères. En effet, dans certaines applications, les NTC pourraient remplacer les charges conductrices conventionnelles dans la formulation de plastiques conducteurs. Malgré ces premiers succès, la maîtrise de la chimie des nanotubes de carbone reste l’élément capital qui permettra une application généralisée de ce matériau étonnant. La capacité d’une production fiable et de très grand volume – en 2016 la production annuelle des NTC était de l’ordre de 10 000 tonnes – à un prix peu élevé de nanotubes synthétisés d’une manière plus sélective sont les trois facteurs qu’il faudrait encore optimiser afin de permettre la commercialisation à grande échelle des technologies à base de nanotubes de carbone.