Les deux dernières leçons ont été consacrées à un thème de recherche particulièrement d’actualité en science des matériaux : le graphène. En effet, au cours de l’année 2016, ce sujet a donné lieu à plus de 25 000 publications et brevets. Cette forte augmentation de l’intérêt des communautés scientifiques pour le graphène au cours des dernières années est liée à plusieurs facteurs : ses propriétés remarquables, le prix Nobel de physique décerné à André Geim et Konstantin Novoselov en 2010, son potentiel important d’application et le fort soutien économique des agences de financement et en particulier de l’Europe. Pour mieux comprendre la structure du graphène, il nous faut décrire simplement celle du graphite, matériaux carboné noir qui est utilisé dans les mines de crayon à papier. Du reste, le nom « graphite » est dérivé du mot grec graphein qui signifie « écrire ». La structure du graphite est analogue à celle d’un mille-feuille dont chaque couche est constituée d’un réseau infini d’hydrocarbures aromatiques polycycliques. Le graphène correspond à l’une de ces feuilles une fois isolée. Il peut donc être défini soit comme étant une couche bidimensionnelle composée uniquement d’atomes de carbone arrangés en hexagone, à la façon d’un motif de nid d’abeille, soit comme le membre final de taille infinie de la série des hydrocarbures cycliques aromatiques bien connus : benzène (1 cycle), naphtalène (2 cycles), anthracène (3 cycles), tétracène (4 cycles), coronène (7 cycles), ovalène (10 cycles)… graphène (très grand nombre de cycles). Par extension, le terme « graphène » est souvent utilisé pour désigner une variété de compositions allant de la monocouche d’atomes de carbone à quelques couches (2 à 5). Le nombre de couches graphèniques ainsi que leur nature sont souvent précisées dans la littérature, et en fonction des matériaux obtenus, les termes « graphène monofeuillet », « graphène multifeuillets », « oxyde de graphène » ou « oxyde de graphène réduit » sont utilisés. Toutes ces appellations définissent les membres principaux de la famille des graphènes.
Si l’on retrace l’histoire scientifique des graphènes, on s’aperçoit qu’elle prend naissance dès les années 1840. Depuis cette date, de nombreux auteurs ont exploré les procédés d’intercalation oxydante de petites entités chimiques dans le graphite. L’oxydation et l’exfoliation du graphite conduisant à la formation d’oxyde de graphite puis d’oxyde de graphène qui peut être réduit, dans une dernière étape, afin d’obtenir un graphène qui reste souvent défectueux. Dès les années 1940, une série d’analyses théoriques réalisées par P. R. Wallace suggéraient que ces monocouches – si elles étaient isolées et pures – pouvaient présenter des caractéristiques électroniques extraordinaires. Des matériaux proches du graphène, dérivés de l’oxyde de graphite, ont été rapportés vers la fin des années 1960, et les articles issus de la communauté associée à la science des surfaces décrivent entre 1968 et 1975 des dépôts d’hydrocarbures polycycliques aromatiques déposés sur des métaux ou des monofeuillets graphitiques (du graphène donc), ou obtenus par sublimation du silicium à partir de films de carbure de silicium. L’exfoliation micromécanique du graphite permettant d’obtenir des feuillets de graphène, de grande qualité fut initiée en 1999 et se concrétisa en 2004 par la méthodologie dite « du scotch » développée par Andre Geim et Konstantin Novoselov. En effet, lorsqu’une surface de graphite pyrolitique est pressée contre une surface de scotch, puis retirée, de minces flocons de graphène peuvent être isolés et observés par microscopie optique. Ils peuvent ensuite être sélectionnés afin de permettre l’étude des propriétés physiques de monofeuillets de graphène largement exempts de la présence significative de groupes fonctionnels et donc d’une très grande pureté. C’est l’étude des propriétés de ce graphène qui a jeté les bases d’une recherche passionnante soulevant des défis importants avec une grande pertinence technologique.