Depuis les trois dernières décennies, l’anthropologie de la nature et celle des ontologies et cosmologies ont connu des développements considérables, éclairant à nouveaux frais bien des phénomènes, des croyances et des expériences à travers le monde. À partir de divers matériaux ethnographiques issus de nos recherches avec les Inuit, ce premier exposé proposait de mettre en perspective et de tester plusieurs de ces approches théoriques – celles de Tim Ingold, de Philippe Descola, de Roberte Hamayon, d’Ann Fienup-Riordan, de Bruno Latour et d’Eduardo Viveiros de Castro – avec les conceptions contemporaines des Inuit du Nunavut et du Nunavik.
Dans ces régions de l’Arctique canadien, de nombreux conflits opposent encore régulièrement chasseurs, écologistes, biologistes et politiques. Ces profondes divergences montrent l’attachement des Inuit à la chasse, ainsi que la résilience des traditions nordiques en pleine modernité. Ces mêmes divergences obligent également l’anthropologue à clarifier certains paradoxes apparents, tel que celui de ces chasseurs qui préfèrent aujourd’hui l’« environnementalisme biblique » véhiculé par des groupes évangéliques, à l’environnementalisme des écologistes. Sur le plan théorique, si l’anthropologie ontologique contemporaine éclaire bel et bien plusieurs aspects fondamentaux de la pensée, des traditions et des usages de ces chasseurs, elle ne rend pas toujours justice à la complexité des perspectives inuit, selon lesquelles humains et animaux sont indispensables les uns aux autres – mais dans une position irréversible, les premiers demeurant les prédateurs et les seconds des proies anonymes. Vu du naturalisme, on peut se demander si l’on ne déforme pas l’animisme inuit par une humanisation excessive des animaux, alors même que ces chasseurs insistent plutôt sur une autre hiérarchie, au sein de laquelle les animaux sont pensés comme des proies et ce, même si les mythes montrent qu’humains et animaux interagissent les uns avec les autres et partagent bien des points communs.