Résumé
La conception rationaliste de l'action publique, qui vise à mesurer les performances des systèmes éducatifs et s’appuie pour cela sur des faits et des preuves, monte en puissance. Cette conception entend légitimer l’action publique et pourtant, le scepticisme à l’égard des politiques et des autorités éducatives ainsi que des experts qui les conseillent, est aujourd'hui manifeste. Pour éclairer ce double constat paradoxal, nous défendrons la thèse selon laquelle ce qui est mesuré n’est pas nécessairement ce qui importe du point de vue des bénéficiaires de l’action publique. À partir de l’examen de la politique mise en œuvre en Belgique francophone pour réguler le recours au redoublement, nous montrerons que les preuves quantitatives (telles que celles fournies par les méta-analyses) sur lesquelles cette politique fonde sa légitimité cognitive ont en fait contribué à son inefficacité et à son discrédit sur le terrain. Ceci faute d’une attention et d’une prise en compte suffisante des réalités pratiques et situées des acteurs scolaires, celles qui comptent le plus pour eux. Pour éviter la « revanche des contextes », la conception rationaliste de l'action publique devrait donc être complétée par une perspective compréhensive qui ancre la factualité dans l'expérience et le jugement des enseignants et, ce faisant, reconnaît et tire parti de l'expertise contextuelle et des savoirs professionnels.