Publié le 30 novembre 2018
Actualité

Zoom sur l'équipe accueillie « Rythmes Cérébraux et Codage Neural de la mémoire »

30 novembre 2018

Depuis 2009, le Collège de France mène une politique volontariste d'accueil d'équipes indépendantes qui bénéficient de ses services techniques et scientifiques mutualisés et de son environnement multidisciplinaire exceptionnel. Ce dispositif ouvert aux chercheurs français et étrangers contribue à consolider l'attractivité de Paris dans la géographie mondiale de la recherche. Vingt-deux de ces équipes sont actuellement hébergées au sein du Centre interdisciplinaire de recherche en biologie ou dans les instituts de chimie et de physique du Collège de France.

Créée en 2015, l’équipe de Michael Zugaro « Rythmes Cérébraux et Codage Neural de la mémoire » (Collège de France, CNRS, INSERM, Université PSL) en fait partie. Parmi ses résultats de recherche récents, on note qu’elle vient de lever une part du voile qui entoure encore l'activité du cerveau pendant notre sommeil. Si l'on sait que certains neurones se réactivent à ce moment pour consolider nos souvenirs, on ignorait encore comment ces cellules pouvaient se « souvenir » de l'ordre dans lequel s'allumer. Les chercheurs ont découvert que la réactivation des neurones durant le sommeil repose sur une activation qui a lieu au cours de la journée : les séquences thêta « enchevêtrées ». Leurs résultats ont été publiés le 9 novembre 2018 dans Science.

De nombreuses fonctions cognitives semblent être sous-tendues au niveau cérébral par la formation de séquences d’activité neuronale, c’est-à-dire par l’activation successive d’ensembles spécifiques de neurones, dans un ordre bien précis. Ces fonctions vont de la vocalisation chez les oiseaux, à la réactivation de souvenirs chez les primates, en passant par la discrimination d’odeurs chez les criquets, ou encore la planification et la prise de décision chez les rats. Les séquences d’activité peuvent se produire plus ou moins rapidement, depuis l’échelle de temps lente du comportement (celle conditionnée par la perception ou par l’action), jusqu’à l’échelle de temps rapide endogène (celle conditionnée par les propriétés intrinsèques des réseaux de neurones concernés). Un exemple particulièrement frappant est l’hippocampe, dont les cellules de lieu codent la position des animaux dans l’environnement. Lorsqu’un animal se déplace, les cellules de lieu s’activent les unes après les autres au fil de la trajectoire, ce qui forme des séquences d’activité à l’échelle de temps comportementale. Ensuite, pendant le sommeil, ces mêmes séquences se reproduisent spontanément, comme si l’animal « rêvait » des trajectoires qu’il vient de parcourir. Ces réactivations sont hautement accélérées, environs vingt fois plus rapides, et permettent de renforcer la mémoire pendant le sommeil. Comment l’organisation séquentielle des cellules de lieu peut-elle être maintenue à des échelles de temps si différentes, manifestées à des moments totalement séparés dans le temps, et dans des états cérébraux opposés (veille, sommeil) ?

Une première possibilité est que l’information séquentielle est directement enregistrée lorsque les neurones s’activent les uns après les autres à l’échelle de temps du comportement. Une seconde possibilité, plus énigmatique, met en jeu la remarquable propriété de l’hippocampe de générer des séquences d’activité enchevêtrées, c’est-à-dire mêlant de manière profondément intriquée des séquences lentes et des séquences rapides. Ceci se produit en fait pendant l’exploration : alors même que les cellules de lieu s’activent lentement les unes après les autres, le réseau hippocampique produit également des séquences d’activité à l’échelle de temps d’une oscillation cérébrale appelée « thêta », dont les cycles durent à peine 150 ms. Ceci permet aux cellules de lieu de s’activer de manière répétée, très rapidement les unes après les autres, comme si à chaque instant elles représentaient toute la trajectoire en cours. Grâce à leur vitesse élevée, ces séquences enchevêtrées permettraient aux cellules de lieu de renforcer leurs connexions, et ainsi de mémoriser leur séquence d’activation. Mais s’agit-il vraiment là du mécanisme qui permet à l’hippocampe de mémoriser des trajectoires, ou d’un simple épiphénomène, si frappant soit-il ?

Pour répondre à cette question, l’équipe de Michael Zugaro a enregistré des séquences d’activité hippocampiques chez des rats, pendant l’exploration de l’environnement, et pendant le sommeil. Elle a développé un protocole ingénieux, grâce auquel elle a pu perturber, de manière rapide et sélective, les séquences d’activité enchevêtrées, sans toucher aux séquences lentes. Ainsi, les cellules de lieu s’activaient-elles toujours les unes après les autres à mesure que les rats parcouraient l’environnement (à l’échelle de temps du comportement), mais les séquences enchevêtrées (à l’échelle de temps du rythme  thêta) pouvaient être supprimées à volonté. L’équipe « Rythmes Cérébraux et Codage Neural de la mémoire » a constaté que la perturbation des séquences enchevêtrées avait pour conséquence une absence totale de réactivations pendant la période de sommeil suivante, réactivations qui permettent normalement la consolidation de la mémoire. Ainsi est-ce bien grâce à son étonnante capacité à produire en même temps des séquences rapides et lentes, grâce à cet enchevêtrement des échelles de temps, que l’hippocampe peut mettre initialement en mémoire les souvenirs qui seront ensuite renforcés pendant le sommeil pour permettre une mémorisation à long terme.