Dans quel champ disciplinaire vous inscrivez-vous ?
Je fais une thèse en neurobiologie, et j’étudie le développement postnatal du cerveau. Je m’intéresse spécifiquement à un type cellulaire, les astrocytes, qui fait partie de ce que l’on appelle les cellules gliales. Ces dernières, moins célèbres que les cellules neuronales, mais tout aussi essentielles, se répartissent dans tout le système nerveux, aussi bien le central (le cerveau et la moelle épinière) que le périphérique.
Quelles sont ces cellules gliales et pourquoi sont-elles importantes ?
Il en existe plusieurs types avec des formes et des fonctions diverses. Dans le cerveau, on retrouve spécifiquement :
1°) les oligodendrocytes qui sont chargés de fabriquer une gaine spécifique qui facilite le passage du message nerveux entre les neurones ;
2°) les cellules microgliales qui sont les cellules immunitaires du cerveau. Elles défendent le cerveau contre les agents pathogènes et sont activées en cas de lésions ;
3°) les astrocytes, qui se situent entre les vaisseaux sanguins et les neurones, et qui présentent une variété de fonctions : ils apportent notamment un soutien nutritif aux neurones et sont capables de dialoguer avec eux au niveau des synapses, points de communication entre deux neurones.
Ce sont les astrocytes qui constituent mon sujet de recherche.
Cela fait une trentaine d’années que l’on se rend compte qu’ils jouent un rôle primordial dans le cerveau, et l’on a encore beaucoup à apprendre sur eux. Par exemple, on pense que leur dysfonctionnement pourrait être impliqué dans des maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer.
Comment travaillez-vous au quotidien ?
Je n’ai pas de routine de travail, tout dépend de mes objectifs et de mes résultats expérimentaux. Il y a des périodes durant lesquelles je ne vais qu’analyser mes résultats et les mettre en forme, et d’autres périodes consacrées aux expériences.
Mon équipe de recherche est assez grande : Nathalie Rouach, la responsable du laboratoire, est aussi ma codirectrice de thèse, avec Glenn Dallérac, chercheur à l’université Paris-Saclay. Je travaille également avec Jérôme Ribot, ingénieur de recherche dans l’équipe de Nathalie Rouach, et les autres membres de l’équipe avec lesquels j’ai aussi de fortes interactions scientifiques et amicales.
Ce qui est très bien au Collège de France, c’est qu’on a tous les outils techniques nécessaires à disposition, par exemple la plateforme d’imagerie avec des microscopes très puissants, et de très bons outils d’analyse de données. Et puis c’est quand même un très beau site en plein cœur de Paris !
Quel est votre cursus ?
J’ai effectué une première année de licence en biologie, géosciences et chimie à l’université Pierre-et-Marie-Curie (maintenant Sorbonne Université). J’étais intéressée par la science en général, et au départ je ne savais pas quelle discipline scientifique choisir. En deuxième année, je me suis spécialisée en biologie, puis en troisième année j’ai pris une option qui s’intitulait « Cellules gliales et pathologies du système nerveux ». Dans notre parcours classique de biologiste, on parle très peu des cellules gliales, ce que je trouve dommage, car j’ai énormément appris grâce à cette option. Suite à cela, j’ai réalisé un stage de master 1 qui avait notamment pour thème les interactions entre cellules gliales et neurones, une expérience heureuse qui m’a confortée dans l’idée de continuer dans cette thématique. Je me suis ensuite spécialisée en neurosciences. Mon stage de master 2, puis, en prolongement de celui-ci, ma thèse actuelle ont eu lieu dans le laboratoire de Nathalie Rouach.
À quel moment le cerveau est-il le plus sensible aux stimulations ?
Durant la période dite « critique développementale ». C’est une phase fondamentale qui s’établit en temps normal de la naissance à la petite enfance. Le cerveau est alors très modulable, très adaptable à son environnement. On dit qu’il est extrêmement plastique. Plus tard, à l’âge adulte, il peut y avoir de la plasticité cérébrale, mais dans une moindre mesure.
Si l’on prend l’exemple du système visuel, un individu qui ne reçoit pas de stimulation visuelle au cours de cette période critique ne pourra jamais voir correctement.
De ce fait, la période critique est étudiée par plein de laboratoires dans le monde, dont le mien, parce qu’il est important de savoir quels sont les facteurs qui la régulent, aussi bien du côté des neurones que des autres cellules du cerveau.
Historiquement, d’où provient votre problématique de recherche ?
À la fin des années 1980, des scientifiques ont démontré que l’injection dans le cerveau adulte d’astrocytes immatures – qui n’ont pas encore acquis leur rôle spécialisé – permet de rouvrir, c’est-à-dire de relancer, cette période critique développementale.
Avant ma thèse, l’équipe de Nathalie Rouach avait déjà entamé un travail fondé sur cette découverte et consolidé les résultats présentés il y a trente ans. Mes collègues ont mis en évidence ce qui distinguait les astrocytes immatures des astrocytes matures : ces derniers produisent une protéine appelée la connexine 30. Sa forte augmentation coïncide avec la fin de la période critique. Alors qu’en son absence, la période critique se prolonge.
La question était ensuite de comprendre comment cette protéine pouvait agir sur la fermeture, c’est-à-dire l’arrêt, de la période critique, d’un point de vue moléculaire. C’est là que mon stage de master 2 a débuté, puis, dans sa continuité, ma thèse.
Vous avez récemment publié en tant que « copremière » autrice dans la revue Science : qu’avez-vous prouvé et que tirez-vous de ce projet ?
Dans cet article, pour la première fois, nous avons mis en évidence comment les astrocytes régulent la période critique développementale.
Au départ on tâtonnait, on cherchait des protéines pouvant interagir de manière directe ou indirecte avec la connexine 30. Pour ce faire, on a conduit des expériences nommées « cribles ». Grâce à cela nous avons pu mettre en évidence une voie de signalisation. Il s’agit d’une sorte de cascade de réactions, laquelle en l’occurrence s’exécute entre une multitude de protéines. In fine, cette cascade permet aux neurones de conserver leur plasticité. Or, lorsque les astrocytes deviennent matures, ils produisent la connexine 30 qui a pour effet de bloquer l’enchaînement de réactions. En augmentant, celle-ci va ainsi provoquer la baisse de la plasticité neuronale : la période critique développementale s’interrompt.
En parallèle de ces travaux, durant mes deux premières années de thèse, il y avait toute la préparation du papier pour Science. Participer aux côtés de mes collègues à ce grand projet était un défi très formateur et instructif ; je ne retiens que du positif de m’être confrontée très tôt à l’élaboration d’un article.
Cette parution a même eu un écho dans la presse généraliste grâce au journal Le Monde.
Une belle « première » pour une jeune doctorante…
Je n’ai jamais été une étudiante brillante, et on m’a souvent répété qu’il n’y avait que les excellents étudiants qui pouvaient aspirer à continuer en thèse, en raison de la difficulté d’avoir une bourse doctorale. Au cours de mon parcours universitaire, j’avais du mal à « éclore » parmi mes camarades de promotion. Cependant, je voulais faire une carrière académique, en commençant par un doctorat, et j’ai bien fait de persévérer !
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Rachel Breton est doctorante au CIRB dans l’équipe Interactions neurogliales en physiopathologie cérébrale dirigée par Nathalie Rouach. Sa thèse s’intitule « Rôle des astrocytes dans la plasticité des circuits synaptiques pendant les périodes critiques développementales ».
Photos © Patrick Imbert
Propos recueillis par Océane Alouda