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Pierre-Emmanuel Girault-Sotias, doctorant en pharmacologie cardiovasculaire

Chemins de chercheurs

Un peptide pour le traitement des maladies cardiovasculaires ! Tel est l’objet de recherche de Pierre-Emmanuel Girault-Sotias, doctorant au Centre interdisciplinaire de recherche en biologie (CIRB) du Collège de France.

Pierre-Emmanuel Girault-Sotias

Avez-vous toujours été passionné par la recherche médicale ?

Oui, à l’origine j’ai fait une première année d’études de médecine, que je n’ai pas obtenue… ce qui arrive à beaucoup d’étudiants ! Mais j’en ai tiré du positif. Au vu de mon grand intérêt pour la biologie, de la communication des cellules entre elles, jusqu’au fonctionnement et aux échanges entre les organes au sein de l’organisme, je me suis donc réorienté vers un parcours Biologie-Santé à l’université Paris-Saclay. Ce parcours s’axe notamment sur la physiologie humaine, qui est l’étude des propriétés, des fonctions et des régulations de nos organes et de nos tissus.
J’ai fait un premier stage à l’INRA autour de l’odorat, plus précisément sur le fonctionnement du bulbe olfactif. J’ai par la suite poursuivi mon cursus et pendant mon master 2, une chercheuse, le Dr Catherine Llorens-Cortes, est intervenue lors d’un enseignement pour une présentation de son objet de recherche : la vasopressine (hormone anti-diurétique) et l’apéline, deux hormones ayant des effets opposés sur le rein, un peu comme le yin et le yang. Ce cours m’a beaucoup plu alors je l’ai recontactée pour solliciter un stage… et elle m’a accepté dans son équipe au Collège de France. Grâce à un financement de la Fondation pour la Recherche Médicale, j’ai pu poursuivre mon cursus sur une thèse dans le domaine cardiovasculaire.

Sur quelle thématique travailliez-vous au démarrage ?

Quand je suis arrivé en master 2 au sein de l’équipe du Dr Llorens-Cortes, j’ai été encadré par cette dernière et par le Dr Adrien Flahault, un médecin néphrologue, qui effectuait une thèse dans le laboratoire sur l’hyponatrémie. C’est un désordre qui se caractérise par une diminution de la concentration en sodium dans le sang, causé par un excès d’eau, alors que c’est une donnée normalement finement régulée.
Les reins contrôlent les quantités d’eau dans l’organisme : ils filtrent environ 180 L de sang quotidiennement, donc notre sang y passe des dizaines de fois par jour ! Leur rôle est d’éliminer les déchets et de conserver un bon équilibre entre l’eau et les sels minéraux au sein de l’organisme.
Si vous ne buvez pas assez d’eau durant la journée, vos urines seront très foncées, car les reins concentreront les urines en réabsorbant l’eau durant la filtration. Inversement, si vous buvez beaucoup d’eau, votre urine sera très claire, car vos reins diminueront la réabsorption de l’eau et élimineront l’eau en excès dans les urines.
Dans le cas de l’hyponatrémie, une forte quantité de vasopressine est libérée, ce qui induit une réabsorption d’eau au niveau des reins : l’eau se retrouve en excès dans l’organisme. Cette rétention d’eau entraîne une dilution du sodium sanguin. Les personnes stockent l’eau, mais continuent de manger et de boire quand même : c’est un cercle vicieux. Les causes de ce désordre peuvent être multiples et ses symptômes courants sont les nausées, la confusion, les céphalées et, lorsqu’il est plus grave, les vomissements, la défaillance cardio-respiratoire, l’hypersomnolence, les convulsions voire le coma.

Comment traite-t-on cet excès d’eau ?

Après avoir déterminé les causes de l’hyponatrémie, en première intention, c’est la restriction hydrique : il faut limiter les apports en fluides non indispensables. Si malgré ces restrictions l’hyponatrémie reste présente, il sera utilisé en seconde intention des antagonistes spécifiques des récepteurs de la vasopressine : les vaptans.
Leur action au niveau moléculaire est de prendre la place de la vasopressine au niveau de son récepteur. La vasopressine ne pourra donc plus se lier à son récepteur et déclencher la cascade moléculaire qui mène in fine à la réabsorption d’eau.
Toutefois, il faut savoir que les vaptans ont une action très rapide. Or, il peut être dangereux de corriger l’hyponatrémie trop vite, car les mouvements ioniques et hydriques brusques entre les milieux cellulaires peuvent occasionner des lésions neurologiques. En outre, ce traitement crée un grand inconfort chez les patients qui, après avoir pris la médication, voient leur volume d’urine augmenter et doivent aller très souvent aux toilettes, même en pleine nuit. Parallèlement, ils passent leur temps à boire puisqu’ils se sentent déshydratés.

Labo Girault-Sotias

Quel a été l’apport de votre équipe ?

Dans mon équipe, dirigée par ma directrice de thèse ma directrice de thèse et composée d’une dizaine de personnes, en collaboration avec une équipe de chimistes dirigée par le Dr Dominique Bonnet, nous avons évalué l’apéline, un peptide – une sorte de petite protéine – naturellement présent dans l’organisme dans un modèle d’hyponatrémie. La demi-vie de l’apéline dans la circulation sanguine est extrêmement courte. Celle que nous avons développé et utilisé a été stabilisée pour améliorer sa fonction pharmacologique et sa durée d’action.
Nous avons démontré que cette apéline stabilisée avait également pour effet de combattre l’action de la vasopressine et donc d’éliminer l’eau en excès, permettant d’augmenter la concentration de sodium dans le sang. Ce traitement semblerait mieux toléré que celui par les vaptans, car il entraîne une correction plus progressive de l’hyponatrémie ainsi qu’une soif moins importante.

Vous et votre équipe avez trouvé une autre application à cette molécule…

L’apéline avait été décrite dans la littérature comme jouant un rôle important dans le contrôle des fonctions cardiovasculaires. Comme dans le laboratoire, une chercheuse, le Dr Solène Boitard, travaillait sur les effets d’une autre molécule dans le traitement de l’insuffisance cardiaque après infarctus du myocarde, nous nous sommes intéressés au rôle de l’apéline dans l’insuffisance cardiaque.
Le cœur, c’est la pompe de l’organisme. Son rôle est d’envoyer le sang dans tout l’organisme et de répondre aux besoins en oxygène et nutriments de tous les organes. Quand le cœur n’est plus capable de le faire correctement, on parle d’insuffisance cardiaque.
L’insuffisance cardiaque peut avoir plusieurs origines, dont la crise cardiaque, aussi appelée « infarctus du myocarde » : le cœur n’est plus alimenté en oxygène parce qu’une ou plusieurs artères coronaires sont obstruées, souvent par un caillot sanguin. Toutes les cellules du cœur en aval de la zone obstruée vont alors être privées d’oxygène et donc mourir. Après avoir subi cette lésion irréversible, le muscle cardiaque n’aura plus la même force de contraction et n’enverra plus assez de sang à l’organisme. Le cœur va dans un premier temps essayer de s’adapter en se « remodelant ».
Par exemple, le cœur va forcer la surproduction de vasopressine qui va entraîner une réabsorption d’eau au niveau du rein, et par conséquent une augmentation du volume sanguin, tout comme ce qui se passe dans l’hyponatrémie ! La fréquence cardiaque va également augmenter.

En quoi est-ce néfaste pour les patients ?

Le problème est que lorsque le cœur essaie de se remodeler, en réalité il se fatigue encore plus, ce qui aggrave la situation. Les malades sont constamment fatigués, s’essoufflent au moindre effort, prennent du poids à cause de la rétention d’eau.
Actuellement, pour soigner l’insuffisance cardiaque, les médecins prescrivent plusieurs médicaments. Leur action est soit : de renforcer et soutenir le travail du cœur, d’assouplir les vaisseaux sanguins – ou vasodilatation, ou d’augmenter l’élimination de l’eau et du sel par les reins pour réduire la rétention d'eau.
Considérant l’ensemble de ces effets, j’ai étudié, avec les Drs Flahault et Boitard, les effets de l’apéline stabilisée :
1) sur les vaisseaux et nous avons observé qu’elle entraîne une vasodilatation.
2) sur la fonction cardiaque, et nous avons montré qu’elle améliore la contractilité cardiaque.
3) de plus, comme décrit plus haut, l’apéline stabilisée a un effet diurétique.
Donc cette molécule aurait plusieurs effets bénéfiques pour traiter l’insuffisance cardiaque.
Nous avons ensuite testé l’apéline stabilisée sur un modèle expérimental d’insuffisance cardiaque après infarctus du myocarde. Nous avons observé une nette amélioration de la fonction cardiaque en présence de ce composé. La publication des résultats est en préparation. Peut-être un espoir pour un traitement futur !

Vous soutenez bientôt votre thèse, quelle sera votre prochaine étape ?

Je pars au Canada pour un postdoctorat au CHU Sainte-Justine dans le service de néonatalogie de la Dr Anne-Monique Nuyt. Ce sera, entre autres, pour étudier les causes du développement de malformations cardiaques chez les individus nés grands prématurés.
Je me suis bien plu au Collège de France ces dernières années, c’est un endroit pluridisciplinaire ce qui est extrêmement stimulant. On se rend compte que le monde scientifique est beaucoup plus large que son domaine à soi.
On échange aussi beaucoup entre doctorants et postdoctorants du Collège de France, sur nos sujets, nos avancées, malgré la disparité de nos thématiques respectives. C’est un peu comme une grande famille. Cela permet aussi de se soutenir moralement, surtout quand les expériences ne marchent pas du premier coup !
Faire face aux échecs et se remettre en selle, c’est inhérent au métier de scientifique. On remet continuellement en question ses recherches. Et au final, c’est ça qui leur donne ce côté passionnant ! C’est comme à l’escalade, on ne va pas foncer dans le tas, mais décomposer sa voie… et puis si l’on n’arrive pas à monter, on peut échanger avec d’autres grimpeurs à côté pour avoir leurs points de vue. Dans un protocole expérimental, c’est pareil, on décompose sa réflexion ; si l’on est bloqué, on peut compter sur le regard extérieur d’autres chercheurs pour nous aider à y voir plus clair : ce sont de vrais moments de partage.

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Pierre-Emmanuel Girault-Sotias travaille au CIRB, au sein de l’équipe Neuropeptides centraux et régulations hydrique et cardiovasculaire, dirigée par Catherine Llorens-Cortes. Sa thèse s'intitule « Les analogues de l’apéline métaboliquement stables dans le traitement de l’hyponatrémie et de l’insuffisance cardiaque après infarctus du myocarde ».

Photos © Patrick Imbert
Propos recueillis par Océane Alouda