17 août 2020
Les peuples aiment bien renvoyer au passé le plus lointain les origines des situations présentes. Il en est ainsi des relations de la France avec le Liban ou au moins avec les maronites qui remonteraient aux croisades. On évoque ainsi une lettre de Saint Louis aux maronites dont l’inconvénient est d’avoir été écrite dans les années 1840.
Plus sérieuse est la prétention française d’exercer à partir du XVIIe siècle une protection sur les catholiques orientaux, dont les maronites, mais elle est largement fictive et les instructions diplomatiques rappellent régulièrement aux agents de ne pas s’immiscer dans les querelles entre Églises chrétiennes.
Ces catholiques ottomans, grâce à l’action des missionnaires européens, connaissent la réforme catholique d’après le concile de Trente et la question centrale devient la latinisation des rites. Les élèves venus des collèges romains sont les pionniers de la diffusion de la connaissance de la culture arabe dans l’Europe catholique. Quatre maronites ont été professeurs d’arabe et de syriaque au Collège de France au XVIIe siècle.
Mais ce sont les Druzes qui établissent pour la première fois l’idée d’une relation privilégiée avec la France en se faisant passer pour les descendants d’un groupe de croisés mené par le comte de Dreux.
La grande rencontre a lieu au XIXe siècle, surtout dans les années 1840, quand le protestant Guizot fait de la France la protectrice des chrétiens catholiques face aux Druzes protégés par la Grande-Bretagne. Dans les assemblées de la monarchie de Juillet, la droite catholique se pose en défenseur de ceux que l’on commence à appeler les « Français de l’Orient ».
En 1860, après de sanglants affrontements entre chrétiens et musulmans, Napoléon III envoie une armée au Liban, au nom de l’Europe et de ce que l’on pourrait définir comme un devoir d’ingérence.
Sous la IIIe République commençante, le français devient la langue de modernisation des communautés chrétiennes et musulmanes créant le bilinguisme libanais grâce à la mise en place d’un réseau dense d’écoles missionnaires catholiques et éventuellement protestantes (plus les écoles juives de l’Alliance israélite universelle). Le résultat est le développement d’une civilisation levantine de l’échange allant d’Alexandrie à Salonique et dont le Liban est le fleuron.
Avec orgueil, les journalistes français parlent alors d’une « France du Levant ».
C’est pour maintenir cette position que la France bataille pour obtenir le mandat de la SDN sur la Syrie et le Liban au lendemain de la Première Guerre mondiale. L’État du Grand Liban est créé le 1er septembre 1920. Il deviendra la République libanaise en 1926.
Tout en s’appuyant sur les chrétiens, les Français œuvrent à intégrer les musulmans dans le nouvel État ce qui a pour conséquence de pérenniser la répartition des fonctions politiques et des emplois administratifs sur une base confessionnelle.
Après l’indépendance en 1945, la présence culturelle française s’amplifie encore avec des écoles et des universités francophones dont certaines sont habilitées à décerner des diplômes français. Politiquement, Paris travaille à maintenir une protection du pays dans la tourmente moyen-orientale d’où la vigueur de la réaction du général de Gaulle après l’attaque israélienne contre l’aéroport de Beyrouth en décembre 1968.
Durant les années de la guerre civile (1975-1990), la France multiplie les efforts de médiation entre les parties combattantes, intervient militairement dans certains épisodes et sera le lieu d’accueil de nombreux Libanais de toutes les confessions. Il existe ainsi aujourd’hui beaucoup de binationaux ou de descendants de Libanais dans la société française.
Politiquement, Jacques Chirac a réussi à construire une relation forte avec les musulmans sunnites, ce qui a été maintenu par ses successeurs. De même, les chiites libanais sont devenus des porteurs de la francophonie en particulier dans la diaspora d’Afrique de l’Ouest, mais aussi en Amérique du Nord où la culture française est devenue un trait d’union pour les Arabes venus du Maghreb comme du Levant.
Cette longue histoire fait que les Libanais ont une part d’identité française en eux et que les Français ne peuvent leur être étrangers.
Henry Laurens