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Aurélien Peter, doctorant en histoire

Chemins de chercheurs

Le personnel des greffes du parlement de Paris à l’Époque moderne ! Tel est l’objet de recherche d’Aurélien Peter, doctorant au Collège de France.

Aurélien Peter

Avez-vous toujours eu une curiosité pour l’histoire ?

Je ne me suis pas immédiatement tourné vers l’histoire. Après le baccalauréat, j’ai travaillé plusieurs années dans la production musicale. L’histoire, pour moi, c’est une reconversion. Mais dans ce premier emploi, j’avais déjà trouvé beaucoup de plaisir à effectuer des recherches documentaires, parfois jusqu’aux archives, pour écrire des notices de concerts ou retrouver de vieilles partitions. On peut dire qu’il y avait une curiosité, un attrait, pour l’étude des documents anciens.

Une des raisons qui m’ont décidé par la suite à m’inscrire en histoire, à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne spécifiquement, c’est la diversité des options proposées qui venaient enrichir le cursus historien. J’ai donc fait ma licence tout en suivant des cours de droit, de philosophie, d’anthropologie… Ces enseignements offraient une formation très complète, des modes d’explication complémentaires pour comprendre le fonctionnement des sociétés humaines et leur histoire. Voilà ce qui attise ma curiosité pour l’histoire : le lien tendu entre des documents et des vies, entre des groupes d’hommes et de femmes que le temps a irrémédiablement éloignés de nous, d’une part, et, d’autre part, des archives qui ont gardé des traces, partielles, partiales, intrigantes, de leur existence.

C’est ce qui motive mon travail de thèse, aujourd’hui, pour comprendre la société de l’Époque moderne, une période qui court environ du XVIe au XVIIIe siècle. Les écrits laissés par et sur le personnel des greffes du parlement de Paris, le groupe d’individus que j’étudie, font entrevoir une administration de la justice, et plus largement de l’État, bien différente de la nôtre, et néanmoins très efficace, impliquant des hiérarchies sociales spécifiques.

Comment vous est venu votre intérêt spécifique pour l’histoire judiciaire ?

À l’origine, je souhaitais faire un mémoire de master sur un tout autre sujet, lié à la Révolution française. Au dernier moment, je me suis beaucoup interrogé sur les raisons pour lesquelles je faisais de l’histoire. J’étais en train de lire un ouvrage de Jacques Derrida sur le mensonge qui m’a beaucoup marqué. Je me suis demandé : quelle est l’histoire de ce concept et quelle était son importance dans des sociétés où l’oralité structurait fortement les relations sociales ; quelles traces les écrits de l’Époque moderne gardent-ils des paroles décrétées fausses ; quelles en sont les représentations que l’on s’en faisait ?

Pour traiter ce sujet, comme angle d’approche de ces politiques de la parole, je me suis concentré sur la notion de faux témoignage, et plus spécifiquement sur la prise en charge de ce crime par les magistrats du parlement de Paris. C’est ainsi que j’ai rencontré, aux Archives nationales, les écrits des greffiers du Parlement et de leurs commis.

Justement, qu’est-ce qu’un parlement sous l’Ancien Régime ?

Les parlements d’Ancien Régime sont très différents de notre Parlement d’aujourd’hui, qui désigne la réunion de l’Assemblée nationale et du Sénat. Ceux de l’Époque moderne sont des hautes cours de justice, composées de magistrats, à qui le roi a délégué son pouvoir de justice, et réparties dans les provinces du royaume. Ils rendent des jugements et des règlements ; ils veillent à la bonne administration des hommes et du territoire de leur ressort. Leurs décisions font jurisprudence. Au-delà de ces compétences judiciaires, juridiques et administratives, les parlements ont aussi un rôle législatif et politique, car pour qu’une loi royale soit appliquée, il faut qu’elle soit enregistrée par les parlements, ce qui occasionne des tensions, des négociations avec le gouvernement royal.

Le parlement de Paris est la plus grosse de ces institutions, celle qui joue le rôle politique le plus important. C’est même une des plus grosses administrations étatiques de l’Europe moderne. Son ressort va de Calais à Aurillac et de La Rochelle à Lyon. Au milieu du XVIIe siècle, le Parlement rend plus de quarante-cinq mille décisions par an, qui concernent des procès, des lois, ou le fonctionnement de l’administration royale !
Du fait de son importance, le parlement de Paris est une institution qui a été beaucoup étudiée par les historiens et les historiennes. À la fin du XXe siècle, par exemple, on s’est beaucoup intéressé aux procès criminels qui y sont jugés. On a voulu établir une histoire quantitative des crimes : combien y avait-il de vols, de meurtres, et dans quelles régions ? À quelle fréquence ? Qui étaient les criminels ? C’est dans cette perspective que j’avais commencé mes recherches sur les accusés de faux témoignage, et que j’ai commencé à consulter les interrogatoires et les arrêts écrits par les greffiers du Parlement et leurs commis. Mais plus je les lisais, plus je me rendais compte que ces écrits ne devaient pas être pris juste comme des moyens, mais comme une fin. Ces documents avaient eux-mêmes une histoire, et une histoire qui n’avait été que très peu faite. Je voulais essayer de comprendre, au-delà de leur contenu, ce que ces documents pouvaient nous dire du fonctionnement du Parlement, et plus largement de l’État. C’est ainsi que j’ai commencé à m’intéresser à ces écrits, à leurs auteurs, les greffiers et leurs commis, au poids du personnel des greffes dans la société de l’Époque moderne.

Qui sont ces greffiers ?

C’est au centre de ma thèse qui s’intéresse à ce personnel des greffes pour faire une histoire des pratiques administratives et une histoire des hiérarchies sociales au sein de l’État. Au Parlement, il y a quatre greffiers, dont un pour les affaires civiles, c’est le poste le plus prestigieux, et un pour les affaires criminelles. C’est peu, comparé au nombre de magistrats, qui dépasse la centaine. En réalité, ces quatre individus supervisent les greffes. Ils sont responsables du bon déroulement de la procédure ; ils sont garants de l’authenticité des actes qui sont passés au Parlement et de leur bonne conservation. Ils sont entourés d’individus qui les assistent et les suppléent, que l’on nomme « clercs » jusqu’au XVIIe siècle, puis « commis ». Ces auxiliaires effectuent le travail quotidien d’écriture. Ils transcrivent les interrogatoires des accusés et les décisions des magistrats, rédigent les arrêts de jugement, notent le circuit des pièces de procès dans l’institution judiciaire. Jusqu’à la fin du XVIe siècle, chaque greffier a sous sa responsabilité un nombre restreint de clercs multitâches. Peu à peu, les occupations se segmentent et les commis se spécialisent.

Tous ces individus sont bien installés dans la société d’Ancien Régime. Les quatre greffiers sont des nobles, et à partir du XVIIIe siècle, les principaux commis aussi. Le greffier civil gravite souvent dans les sphères royales. Même les commis qui recopient à longueur de journée les actes sont généralement issus de ce que l’on pourrait appeler la moyenne bourgeoisie parisienne.

Cela s’explique par l’importance du Parlement, plus haute cour du royaume, et par le prix qu’il faut payer pour obtenir ces charges. À cette époque, les fonctions administratives du royaume sont des charges qui s’achètent et se vendent, c’est ce que l’on appelle la vénalité des offices. Comme pour un notaire aujourd’hui, la personne désirant occuper un office doit s’acquitter d’une certaine somme d’argent, souvent envers l’État et envers le dernier possesseur de la charge. Une des découvertes de ma thèse est justement que les offices de greffiers du Parlement deviennent parmi les offices les plus onéreux de la monarchie au tournant des XVIe et XVIIe siècles. C’est dû à l’importance de la fonction, mais aussi à sa rentabilité, puisque chaque acte d’écriture est alors « facturé » aux justiciables.

Est-ce que les greffiers du Parlement d’Ancien Régime sont comme les greffiers du tribunal que nous connaissons de nos jours ?

À gros traits, on pourrait dire que les actuels directeurs et directrices de greffe sont un peu comme les greffiers « en chef » ; et les greffiers d’aujourd’hui, comme les « commis » de l’époque, dans le sens où leurs fonctions consistent non seulement à prendre en note les audiences, à rédiger certaines décisions, mais surtout à veiller au respect de la procédure et à garantir l’authenticité des actes.

Ensuite, sous l’Ancien Régime, tous étaient des hommes, alors que le métier s’est aujourd’hui beaucoup féminisé ; ils occupaient un office, alors que ce sont devenus des fonctionnaires au cours du XXe siècle – sauf pour les tribunaux de commerce. Par ailleurs, on observe sur le temps long une perte de prestige social et une baisse de leur rémunération.

Aurélien Peter (lecture)

Que trouve-t-on dans les documents produits par cette administration ?

Des arrêts rédigés sur parchemin, des listes de sacs de procès entreposés aux greffes, des procès-verbaux de séances, d’interrogatoires… et puis des tables et des inventaires qui jouent le rôle de bases de données pour que le personnel des greffes lui-même s’y retrouve. Certaines écritures sont soignées ; d’autres, très brouillonnes. La lecture des écrits de greffiers du XVIe siècle peut s’avérer particulièrement ardue.

Il y a des choses étonnantes à la lecture. Par exemple, il y a un des principaux commis du greffe criminel, dans les années 1580, qui est en charge de transcrire les interrogatoires de « question », c’est-à-dire de torture. Ces textes sont aujourd’hui assez difficiles à lire. Je ne parle pas là de leur déchiffrement, mais du fait que la torture est très éloignée de nos conceptions contemporaines de la justice. Après une journée à lire des interrogatoires de ce type, on ressort toujours dans un drôle d’état.

Le commis transcrit l’interrogatoire au style indirect, il est là pour récolter les paroles de l’accusé, mais aussi pour vérifier que la procédure normale est suivie, qu’il n’y a pas de dérapage dans les actions du bourreau. Mais à certains moments, sa graphie change. Elle se fait très lisible, ronde, et le commis utilise alors le style direct. À certains moments seulement : pour transcrire les cris de souffrance de l’accusé, ses prières. Il faut se garder de psychologiser ce genre d’actes d’écriture, de surinvestir d’intentions le document, mais il est intéressant de remarquer comment le commis distingue la parole qui est utile au procès d’une autre, qui n’apporte rien en droit, mais qui exprime une humanité, et peut-être, surtout, une piété chrétienne.

Comment avez-vous travaillé sur ces archives au quotidien ?

Il y a eu toute une période de collecte des données aux archives. À cette période, j’ai pris beaucoup de photos et de notes sur place. Comme je travaille sur la forme du texte, j’ai besoin de voir le document en lui-même, donc je ne peux pas me contenter de prendre des notes, j’ai besoin de voir la matérialité du document. Après, il y avait toute une phase de classement et d’organisation de cette matière.

Dans le même temps, la confrontation des documents et de leur analyse avec les recherches existantes a fait émerger des hypothèses sur le travail et la vie de ces greffiers et leurs commis. C’est comme ça que j’ai pu tisser le fil rouge de ma thèse sur la structuration progressive des bureaux de greffes, sur cette maîtrise de l’information qui passe des mains des quatre greffiers au procureur général du roi. En fait, il y a une circulation constante entre la recherche en archives, les lectures en bibliothèques et la production d’hypothèses que l’on creuse, et, parfois, que l’on abandonne. Tout cela a permis d’aboutir, petit à petit, à un plan de thèse puis à la rédaction de la thèse, aujourd’hui.

Comment articulez-vous votre travail de recherche et vos activités au Collège de France ?

Je suis rattaché, cette année, à la chaire du Pr Patrick Boucheron. D’une part, je travaille à terminer la rédaction de cette thèse. D’autre part, je m’occupe de la revue Entre-Temps. Il s’agit d’une revue numérique d’histoire actuelle qui porte à destination d’un large public un ensemble de réflexions et de performances sur notre rapport au passé, sur l’histoire et sur la pluralité de ses formes d’écriture. Chaque semaine, la revue publie des contenus aux formats variés, dans lesquels chercheurs, enseignants, archivistes, artistes, etc., se saisissent du matériau historique, en font l’expérience dans une perspective de transmission ou de création.

C’est une chance de travailler pour la chaire. La rédaction d’une thèse n’est pas une chose facile et les échanges avec le Pr Patrick Boucheron, ses conseils pour tenir le fil de l’écriture sont précieux. L’expérience à Entre-Temps est aussi très heureuse. Je renoue grâce à elle avec mes anciennes fonctions dans l’organisation d’événements culturels. Il faut gérer la vie de la revue : l’édition des articles, la captation d’entretiens filmés, de podcasts, l’organisation de tables rondes… Les sujets qui y sont abordés élargissent chaque jour ma perception de ce que l’histoire permet, des façons de l’écrire, de l’enseigner et de la transmettre.

Aurélien Peter est attaché temporaire de recherche au sein de la chaire Histoire des pouvoirs en Europe occidentale, XIIIe-XVIe siècle du Pr Patrick Boucheron. Il prépare une thèse intitulée « Maîtriser l’information dans une cour souveraine. Pratiques professionnelles et positions sociales du personnel des greffes du parlement de Paris à l’Époque moderne » à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, sous la direction de Jean-Marie Le Gall.

Photos © Patrick Imbert
Propos recueillis par Aurèle Méthivier