À quand remonte votre intérêt pour l’étude du cerveau ?
J’ai toujours aimé comprendre. Quel que soit le sujet auquel je me confronte, j’ai besoin d’en approfondir les mécanismes. De là me vient peut-être le goût pour des sciences. J’ai rapidement été intriguée par la génétique… et, plus tardivement, par la neurobiologie. Cette discipline me questionnait plus, car elle me permettait de comprendre les mécanismes même de la compréhension.
Après ma terminale scientifique, je me suis dirigée vers l’université, en biologie. D’abord à Orsay (Paris-XI) jusqu’à la maîtrise (M1), puis à Pierre-et-Marie-Curie (Paris-VI) pour le DEA (M2) et le doctorat. Ma thèse portait sur les mécanismes cellulaires d’apprentissage et de mémorisation. J’ai ainsi mis au jour de nouveaux mécanismes d’apprentissage dans le cervelet, impliquant les cellules étoilées. Puis, au cours de mon postdoctorat je me suis intéressée au cortex… et, après mon recrutement à l’Inserm, mes recherches se sont centrées sur l’hippocampe et le VLPO (noyau préoptique ventrolatéral). Disons que je me promène dans le cerveau au gré des questionnements qui me viennent.
Comment s’organise votre recherche ?
En fonction des urgences ! Et elles sont nombreuses. Je n’ai aucune routine. Je planifie surtout les manipulations. Mais je suis moins souvent à la paillasse qu’avant… car j’encadre actuellement deux thèses, je dois faire de la veille bibliographique, écrire des demandes de financement, des articles et également, et régulièrement, faire un travail d’expertise qui consiste en de la relecture d’articles ou de projets de recherche. Sans oublier d’aller présenter nos résultats dans des congrès scientifiques ou de faire de la vulgarisation afin de partager ma passion des sciences.
Les doctorants m’aident beaucoup dans mon travail. C’est une véritable collaboration où on discute des expériences qu’il faudrait faire ou encore comment il faudrait analyser nos résultats pour obtenir des conclusions solides.
L’étude du cerveau vous a menée à celle du sommeil…
Paradoxalement, bien qu’un tiers des Français souffre de troubles du sommeil (qui favorisent l’hypertension, le diabète, la dépression, la maladie d’Alzheimer…), les mécanismes de fonctionnement du sommeil restent encore méconnus et très peu étudiés !
Quel est votre angle de recherche ?
Dans le cerveau humain, on trouve cent milliards de neurones, mais également quatre-vingt cinq milliards de cellules gliales. Ces cellules sont beaucoup moins connues que les neurones, car on a mis beaucoup plus de temps à comprendre comment elles fonctionnaient et quels étaient leurs rôles. Il existe plusieurs types de cellules gliales, dont les astrocytes, qui sont majoritaires et que l’on nomme d’après leur forme semblable à celle des astres.
Si les neurones s’activent électriquement, les astrocytes communiquent différemment. Ils jouent sur leur concentration en calcium. Tout comme les neurones, ils sont organisés en réseaux, qui se superposent à ceux des neurones. L’objectif de mes travaux est de comprendre comment ces différents réseaux communiquent entre eux, et comment ils permettent de réguler le sommeil.
En effet, les astrocytes peuvent capter du glucose par les vaisseaux sanguins, qui alimentent le cerveau en énergie. Le cerveau, s’il ne représente que 2 % du poids d’un individu, consomme tout de même 20 % des sources d’énergie de l’organisme, le glucose. Les neurones sont très gourmands en énergie pour fonctionner. Or, le glucose est principalement capté par les astrocytes, qui se chargent ensuite de nourrir les neurones en libérant une autre molécule, le lactate. Mais la transformation du glucose en lactate par les astrocytes va induire par la même occasion une libération d’adénosine, une molécule très importante qui va favoriser l’activation des neurones promoteurs du sommeil.
Tout le monde a certainement déjà fait l’expérience dans sa vie de boire du café trop tardivement dans la journée, puis de souffrir d’insomnie. C’est que la caféine contenue dans le café se place sur les neurones qui déclenchent le sommeil. La caféine empêche ainsi l’adénosine, normalement libérée par les astrocytes, de se fixer sur les neurones promoteurs du sommeil et donc de les activer pour induire le sommeil.
Que déduisez-vous de tels résultats ?
Au laboratoire, nous avons déjà montré que les astrocytes ne libéraient pas la même quantité d’adénosine, en réponse au glucose, que ce soit le matin au réveil ou le soir avant d’aller se coucher. Ainsi, en mesurant les taux d’adénosine dans le VLPO, la région qui contrôle le sommeil, nous avons pu montrer que les astrocytes libéraient plus d’adénosine le soir, au moment du coucher, que le matin. L’ensemble de nos résultats suggèrent donc que si le soir, nous prenons un repas riche en glucose, cela favoriserait l’endormissement, alors qu’un repas plus riche en protéines ou lipides favoriserait l’éveil. À présent, nous étudions comment les changements de forme des astrocytes, au cours des cycles veille/sommeil, pourraient permettre de plus ou moins réguler l’activité des neurones du VLPO et donc également de participer à la régulation du sommeil.
Vos résultats trouvent-ils des applications ?
Il m’arrive de collaborer avec l’Armée française. Pour un soldat, le maintien de la vigilance est vital. Par exemple, si l’on suit nos conclusions, un pilote de chasse, volant à mach 3, doit privilégier des barres protéinées plutôt que sucrées s’il ne veut pas s’assoupir !
Vous vulgarisez volontiers votre discipline…
J’anime régulièrement des conférences et je partage certaines de mes découvertes sur les réseaux sociaux… Égoïstement, ce travail de communication vers le grand public me nourrit, car l’écriture scientifique à destination exclusive des neurobiologistes génère parfois des frustrations : dans la forme, car le vocabulaire est limité et la syntaxe stéréotypée, et dans le fond, car les projets de recherche que l’on doit écrire sont des projections à court terme (trois à cinq ans).
L’écriture d’un roman d’anticipation sociale, nourri de mon monde très neurobiologique (AlicE 2630 : Expérience humaine, éd. CloniTech) a été encore une autre façon de me libérer de ces contraintes.
En fait, j’éprouve toujours du plaisir à partager ma passion de chercheur. C’est un métier captivant, qui donne au chercheur, lorsqu’il observe et comprend pour la première fois tel ou tel mécanisme, la sensation unique et privilégiée d’être comme le premier homme à marcher sur la Lune !
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Armelle Rancillac travaille au sein de l’équipe Neuroglial Interactions in Cerebral Physiopathology du Centre interdisciplinaire de recherche en biologie du Collège de France, dirigée par Nathalie Rouach (Collège de France/Inserm).
Photos © Patrick Imbert
Propos recueillis par David Adjemian