La pensée peut-elle exister sans langage ? La thèse d’une identité entre langage et pensée a été défendue par certains philosophes. Dans le Théétète, Platon fait à dire à Socrate : j’appelle pensée « un discours que l’âme se tient tout au long à elle-même sur les objets qu’elle examine ». Merleau-Ponty va plus loin : « la pensée n’a rien d’intérieur, elle n’existe pas hors du monde et hors des mots » (Phénoménologie de la perception, 1945). Ray Jackendoff attribue cette idée à une sorte d’illusion métacognitive : « nous faisons très souvent l’expérience de nos pensées comme une sorte de monologue intérieur – nous entendons littéralement des mots, des syntagmes ou des phrases dans notre tête, et il est alors vraiment tentant de caractériser la pensée comme une sorte de langage intérieur. » Comme le souligne également François Recanati, cette introspection peut cependant s’expliquer par un simple parallélisme entre les deux domaines : les « contenus » de pensée seraient indépendants du langage, mais, dans l’espèce humaine, la parole accompagnerait toute « activité » de pensée un tant soit peu complexe.
Effectivement, l’analyse des représentations mentales animales, par les méthodes de l’éthologie et des neurosciences, donne tort à Platon et Merleau-Ponty : une pensée abstraite et complexe peut très bien exister en l’absence de tout langage. Le cerveau de la souris cartographie son environnement, celui du singe macaque représente le nombre d’objets… toutes ces espèces pensent, sans mots, du moins s’il l’on définit la pensée comme la représentation mentale et la manipulation d’informations abstraites.