Longtemps au XXe siècle, alors que la discipline connaissait des mutations épistémologiques majeures, le Collège de France n’a pas disposé de chaire dispensant les enseignements en histoire du Moyen Âge occidental. Si l’Orient byzantin est pourvu de spécialistes à partir de 1927 et jusqu’en 2001 (de Gabriel Millet à Gilbert Dagron), en revanche l’histoire médiévale occidentale reste le parent pauvre à côté de la littérature, la numismatique ou la philosophie qui, toutes, disposent d’un représentant. La création de la chaire Histoire des sociétés médiévales, proposée par le byzantiniste Paul Lemerle, repose ainsi sur le constat qu’après avoir établi l’histoire événementielle et institutionnelle du Moyen Âge le temps était venu de s’attacher à la « savante complexité et l’organisation normative des liens d’homme à homme » en abordant des champs d’études relativement neufs comme l’archéologie rurale, les structures de parenté et la sémantique pour traduire le caractère global et la diversité des sociétés médiévales occidentales, avec leurs mœurs, leurs institutions, leurs croyances, leurs mentalités, leurs artistes, leurs savants et leurs idéaux (rapport du 30 novembre 1969).
Georges Duby, dès sa leçon inaugurale prononcée le 4 décembre 1970, énonce sa méthode qui s’inscrit dans la dynamique créée par Lucien Febvre ou Marc Bloch et qui vise à chercher « l’homme vivant sous la poussière des archives et dans le silence des musées ». Le cadre général est ainsi posé et structure l’ensemble de son enseignement pendant vingt années et de son immense œuvre éditoriale menée concomitamment, qu’il s’agisse de travaux d’érudition ou de vulgarisation : sans anachronisme déformant ni naïveté face aux sources, il encourage le développement d’une histoire sociale ou histoire des « mentalités » qui utilise les outils de l’anthropologie et de la sémiologie (selon une théorie déjà posée dans L’Histoire et ses méthodes, 1961). Sa méthode englobe « toute l’histoire », toute trace de l’homme dans la société et à force d’analyses spécifiques ambitionne de parvenir à des synthèses permettant de retrouver « la vie historique » selon le mot de Michelet, i. e. les articulations et interactions au sein d’une globalité.
Pendant ses années d’enseignement au Collège de France (1970-1991), Duby se conforme à son programme initial d’une histoire comparée des aristocraties de l’Europe occidentale entre Xe et XIIIe siècle à travers une sociologie de la guerre féodale (1971-1973), une analyse des relations de pouvoir en France et en Europe en tentant ce qu’il appelle « une recherche de psychologie économique sur l’attitude des aristocraties à l’égard des profits de l’exploitation seigneuriale », i. e. des essais sur l’idéologie et l’imaginaire à l’œuvre dans la société des trois ordres (1973-1987). Il apporte enfin une attention particulière à l’étude des relations de parenté et pratiques matrimoniales pour illustrer la « vie privée » des médiévaux et notamment la place des femmes (1979-1991).
Notice rédigée par Marc Verdure (Collège de France – Institut des Civilisations).