Présentation de la chaire
Fernand Braudel est élu le 1er avril 1950 en tant que titulaire de la chaire Histoire de la civilisation moderne grâce à l’activité de l’historien Augustin Renaudet et du linguiste Marcel Bataillon. Le titulaire de cette chaire, selon ce dernier lorsqu’il défend simultanément le maintien de la chaire et la candidature de Braudel, devra s’attacher à décrire l’ « intrahistoire des hommes silencieux » et en effet, lors de sa leçon inaugurale prononcée le 1er décembre 1950, Braudel envisage de porter ses travaux sur trois axes : d’abord la responsabilité « redoutable mais exaltante » de l’historien qui doit se mêler à la vie contemporaine ; ensuite la poursuite d’une « grande histoire » qui intègre le destin des hommes singuliers ; enfin l’hommage à son maître Lucien Febvre à travers la reprise de quelques-unes de ses idées chères, notamment contre l’histoire événementielle réduite aux « grands hommes ».
Si Braudel souligne l’enrichissement apporté par les perspectives englobantes des rythmes économiques, des tensions sociales ou des conflits de races, il se méfie aussi des simplifications abusives et soutient que les hommes font l’histoire au même titre que l’histoire façonne le destin des hommes. C’est là qu’intervient un des déterminants de la vision de l’histoire selon lui, il s’agit de la différenciation des temporalités entre le temps des hommes et le temps des sociétés, ce dernier étant même doté de « mille vitesses, mille lenteurs ». Braudel développe alors l’idée de la « civilisation » dont l’histoire est lente et profonde et dont la définition est d’autant plus nécessaire que le monde traverse au XXe siècle une période de catastrophes et de destruction de symboles.
Braudel s’emploie alors, dans ses cours au Collège de France entre 1950 et 1972, à défricher la nouvelle histoire qui correspond à l’irruption des temps nouveaux en rassemblant une documentation économique, sociale et technique souvent inédite. Il participe d’ailleurs activement à la création, en remplacement d’une chaire de « Littérature latine du Moyen Âge », d’une chaire intitulée « Analyse des faits économiques et sociaux » dont l’objectif est d’utiliser les méthodes de l’histoire, de la géographie et de l’analyse en établissant des échanges permanents entre ces divers points de vue (novembre 1954).
Braudel donne deux cours par semaine, les mercredis et vendredis (ou samedis) matin, et aborde des thématiques transversales : « destins européens » (1952-1953), « Le capitalisme moderne avant le XVIe siècle » (1954-1955), « Venise à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle » (1956-1958), « Histoire de la vie matérielle du XIVe au XVIIIe siècle » (1959-1961), « Pour une histoire économique et sociale de la France au XVIe siècle » (1962-1966) ou encore « Le monde de 1550 à 1650 » (1967-1970) avant d’achever ses cours sur « Les grandes lignes de l’histoire de France » (1970-1972). Nul étonnement, en raison de l’ampleur des sujets, du caractère inédit des documents et de la brièveté des temps impartis que beaucoup de cours n’aient pu être menés à leur terme. Braudel essaie surtout de rassembler la documentation et de définir des lignes directrices en étudiant successivement des points de rencontre significatifs et en questionnant les disciplines. Les deux dernières années sont ainsi l’occasion de passer l’histoire de France au crible des nouvelles méthodes et des nouvelles problématiques du métier d’historien (géographie, langue, biologie, civilisation populaire, économie, politique).
Notice rédigée par Marc Verdure (Collège de France – Institut des Civilisations).