Résumé
L’étude de la littérature est affaire de science, mais aussi, et sans doute d’abord, de plaisir. Or le plaisir peut faire obstacle à une approche scientifique de la littérature. Heureusement, une étude comparée de la littérature permet de dépayser notre rapport à la littérature en remettant en question nos habitudes de lecture ainsi que les canons sur lesquels se fonde notre conception de l’objet littéraire. Elle permet de renouveler notre compréhension des œuvres, dans la mesure où toute lecture est, de manière inconsciente, une lecture comparée : une œuvre fait sens sur un fond d’autres œuvres dont elle se détache, tant et si bien que changer l’arrière-plan revient également à modifier la perception du premier plan. Un tel décentrement n’est cependant pas facile à obtenir : il exige une transformation quasiment existentielle du lecteur lui-même, appelé à renoncer à l’idée beaucoup trop nivelante de littérature mondiale, pur produit de l’émergence du concept moderne de littérature à la fin du XVIIIe siècle, afin de parvenir à entrer dans un autre univers, celui de la bibliothèque du monde, infiniment plus respectueuse de la singularité des objets qui la composent, et donc plus propre à provoquer la défamiliarisation indispensable. Une approche comparatiste doit se frayer un chemin étroit entre, d’une part, cette nécessaire sensibilité à l’altérité et, d’autre part, les forces aujourd’hui toujours plus puissantes qui visent à rendre les cultures hermétiques les unes aux autres en insistant sur une prétendue incommunicabilité des objets culturels.